Lieux numériques : pratiques populaires et réappropriation sociale,
la bricole comme frein à main des technosciences

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CONTEXTE ET QUESTIONNEMENTS

1. Vie urbaine, ville culturelle

Nous vivons dans ce qui est annoncé comme une époque en transition(s) (numérique, écologique, démocratique) au sein de laquelle les organisations collectives sont largement modifiées par un mouvement de mondialisation englobant. Cette mondialisation a provoqué et provoque encore différents exodes, reconfigurant l’urbanisation des villes. En effet, cinquante pourcent de la population vit actuellement dans les villes, et c’est la première fois que l’humanité se retrouve dans cette situation. Le vivre-ensemble citadin est donc largement expérimental et en construction. Les infrastructures et connexions entre les villes ou au cœur de celles-ci sont largement organisées grâce à des dispositifs numériques. De nouveaux concepts comme les « Smart City », centré sur l’usage des technologies puis du « smart citizen » basé sur l’habitant-usager, ont fleuri ces dernières années. Cela se traduit depuis une dizaine d’année par des théories et pratiques très vite homogénéisées et étudiées, non sans que soit pointées du doigt les menaces sur la démocratie, l’arrivée de villes intelligentes sans flâneur, …

D’autre part, les services et activités du secteur culturel ont dans une certaine mesure été dirigés comme solutions de cohésion, de diversité, voire de mixité sociale. Parallèlement, la « culture » est devenue un facteur de développement, d’attractivité pour les villes. Un consensus s’est dégagé reconnaissant ‘la culture comme valorisation des territoires dans la concurrence urbaine’, et les politiques publiques s’activent depuis plus de trente ans dans ce sens. L’arrivée depuis peu du concept de ‘tiers lieux’ culturels apporte une nouvelle démonstration de l’usage des actions culturelles (jouant avec le trio : restauration rapide, bière locale et yoga, comme concept novateur) au profit d’une logique économique d’aménagement et d’une gentrification assumée. Admettons.

2. Fonction et rôle des lieux culturels

On peut considérer que les lieux et institutions culturels assimilent les émergences urbaines et proposent des espaces de médiation et d’action culturelle dont la diversité et l’autonomie serait à questionner. Je ferais l’analyse des activités décrites par la suite dans un contexte sociologique analysant le rapport aux publics, le lien avec les pouvoirs publiques et les enjeux de développement économique et social d’un territoire. La « culture » n’est pas uniquement celle des musées, des cinémas et opéras, mais aussi celle de lieux culturels pluridisciplinaires à la croisée des activités socio-culturelles, artistiques et sociales. De la structuration de l’offre des salles de ‘musiques actuelles’ aux friches culturelles, en passant par les squats artistiques, l’émergence de tels lieux a ouvert ce qui a été nommé une ‘nouvelle époque d’action culturelle’ .

Ce dossier souligne modestement des interrogations déjà formulées par les travaux et études comme celui de Michel Dufour sur les friches culturelles. Comment le public s’approprie-t-il un lieu ? Sur quelle base la programmation s’effectue t-elle ? Comment associer adhérent, usager et public d’une activité associative ? Ces lieux ont-ils une réelle influence sur le quartier ou la ville dans lequel ils sont implantés ? Quelles professions et compétences entrent en action pour les animer ? Comment soutenir l’émergence de nouveaux espaces ou comment ré interroger ceux existant ? Peut-on développer des politiques culturelles affranchies de toute logique marchande ?…

3. Cas d’études « PING »

Dans le cadre de ce dossier, je propose d’étudier les lieux -ou ateliers- dédiés à l’appropriation des technologies que l’association PING a ouvert sur Nantes depuis 2008. Je m’attacherai donc à observer (en 2018 donc!) et décrire la création, l’animation et le développement de ces espaces dans une continuité historique, celle des** lieux culturels pluridisciplinaires**. Je partirais de l’analyse d’Elsa Vivant qui avait fait « l ’hypothèse que les pratiques culturelles alternatives, off, sont qualifiantes pour une métropole » et qui en tant que géographe a montré l’importance de ces lieux dans les mutations urbaines.

Je ne pourrai pas entrer dans des analyses fines et pointues sur l’urbanisation par la culture (numérique), mais tenterai de convoquer aussi les enjeux portés par les ateliers de pratiques artistiques en ville, les conditions d’usages de centre socio-culturels et les problématiques des espaces de médiation scientifique et technique lors de l’étude de cas.

Je détaillerai modestement ainsi la ‘construction’ du fablab ‘Plateforme C’ sur la fameuse île de Nantes et reviendrai sur l’histoire sociale de la pratique des ‘Openateliers’, rendez-vous hebdomadaire les mardis au pôle associatif du 38breil à l’Atelier Partagé -deuxième espace de pratique de PING- et les jeudis à Plateforme C menés, animés avec / par plein de personnes chouettes.

La question que je me poserai sera la suivante : à qui profitent les lieux de médiation numérique ? Le discours sur l’ouverture reflète-t-il bien la réalité, ou voit-on au contraire se reformer des « entre soi » ? Elle sera mise en perspective avec une problématique plus générale sur les conditions d’appropriation sociale des technologies, à la lumière des pratiques populaires actuelles et passées.

4. Démarche intrinsèque

A l’instar des études pré-citées sur les lieux pluridisciplinaires, les activités de PING ont connu plusieurs cycles et ré-orientation : avec l’arrivée du web participatif, j’ai crée l’association PING avec un animateur de la radio étudiante PRUN Alexandre Lorieau, sur l’idée d’articuler « technologie de l’information, tissu associatif et culturel, mise en réseaux ». Depuis 15 ans, notre champ d’action a évolué quant à la sémantique : de Technologie de l’Information et des Communications, à NTIC, puis multimédia, de transmédia à numérique, de médialab à fablab. Mais nos activités restent basées sur la transmission des savoirs, l’expérimentation de projets culturels, la documentation et les ressources ainsi produites.

Tentant de favoriser une approche réflexive et un regard critique sur les innovations technologiques, nous avons choisi de nous adresser aux acteurs déjà en lien avec des publics. Nous avons ainsi proposé des ateliers de sensibilisation à l’usage des premiers sites web participatifs. Bien avant l’arrivée des plateformes actuelles de réseaux ‘sociaux’, nous avons ouverts des sessions de formation sur les outils et logiciels libres ainsi que de l’hébergement de site web et de services de type mail. Accompagnant les institutions culturelles ou associations, nous avons essayé de former les acteurs, médiateurs, animateurs plutôt que le grand public en insistant sur le fait que les technologies -web principalement- changeaient leur « façon de faire de la culture, du social, de l’art » sur la forme (la partie outillage, disons) mais aussi sur le fond (impact sur les industries culturelles, la société, les individus, les corps,).

Par ailleurs, en tant qu’acteur culturel nous avons aussi développé notre propre programmation (résidences artistique, médiation, publication), constituant une sorte de « culture numérique » -nous y reviendrons-. Ce double enjeu (c’est-à dire d’être à la fois ressource pour des acteurs institués et force de proposition d’actions socio-culturelles) a créé de façon inhérente et endogène une pratique de veille permanente des signaux faibles et une démarche proche d’une recherche-action-ressources « en mouvement ».

5. Exploration socio- culturelle et auto-analyse

Ma méthodologie sera (a été) basée sur une archéologie de nos propres médias, en explorant les différentes publications, documents et ressources que nous avons produits depuis quelques années. Dans un souci de publication et de partage de ressources, nous produisons une quantité importante de médias et de notes sur nos expérimentations, dans des formats aussi divers que le permet le numérique, l’usage de nouveaux outils (open source) étant aussi une expérience en tant que tel. Si le but n’est pas d’archiver tout le ‘présent’ ou de tenter d’épuiser le quotidien à la manière de Georges Perec et ses prises de notes exhaustives place Saint Sulpice, nos productions sensibles et souvent brutes constituent de bonnes archives ou traces, et représentent nos échanges du moment. Des petits riens souvent. PING explore ‘les sentiers numériques’, ici il s’agit d’explorer le territoire culturel que nous avons nous-mêmes dessiné, de revisiter le temps à rebours, l’art du dépliage temporel.
J’utiliserai aussi comme source des articles, des mémoires et des interviews réalisés lors d’entretiens ou d’échanges avec différents observateurs : Jean-Baptiste Labrune, chercheur indépendant, phD au MIT et en mission à la CGET, Régis Balade durant son Diplôme Universitaire pour lequel j’ai été son tuteur, Olivier Ryckwaert ex-chargé de mission à l’Agence Régionale en charge de la PRI Design, Cédric Doutriaux ancien salarié de PING et animateur du fablab. Soulignant l’importance de ces échanges, ces connexions démontrent le caractère « en réseau », collectif et coopératif de nos recherches situées.

Nous verrons en introduction comment se présentent actuellement les activités de l’association PING, comment le langage vernaculaire et technique que nous utilisons tisse des liens et des communs mais posent aussi des frontières nouvelles avec les non-initiés. Une partie « lexique » viendra fournir quelques éléments de références. Puis je décrirai cinq années d’expériences du fablab Plateforme C comme lieu des possibles, espace de négociation avec les collectivités et mise en visibilité de PiNG. Je reviendrai ensuite sur un temps fort de l’association, le rendez-vous hebdomadaire « les OpenAteliers » et au détour je reviendrais sur l’Atelier Partagé, deuxième espace de pratique de PING.

Ayant participé à différents postes et rôles au sein des activités précédemment listées, je me baserai sur mon expérience sensible, comme une auto-biographie des pratiques, et mobiliserai les outils adéquats en sociologie (récits de vie, interviews, observation participante, enquêtes, entretiens, …).
J’expliquerai en quoi ces différents formats se pensent comme des lieux et espaces d’apprentissage à l’heure du tout numérique.
Dans la dernière partie, j’interrogerai à la fois comment ces pratiques s’ouvrent ou non à tout type de public, comment PiNG a joué un rôle d’activateur historique sur Nantes et en quoi il est bien difficile de concilier des postures d’esprit critique dans une démarche de développement structurel d’une association.

PRESENTATION ET TERRAIN D'ACTION

1. L’association PiNG en 2018

La présentation des activités de PiNG met souvent en évidence le cadre et le langage que l’on se définit collectivement, l’équipe de permanents et le conseil d’administration. Cette description se veut objective mais est influencée par la fonction que j’occupe en son sein :

L’association compte actuellement huit salariés permanents en CDI. Nous organisons des réunions de semaine pour une gestion collective des demandes, des retours d’expériences et autres organisations. Nous avons aussi quelques instances du type Codev (gestion du développement, partenaires, budget et ressources humaines), Cored (comité de rédaction et de communication), … au sein desquelles plusieurs permanents participent. Des comptes-rendu sont fournis au conseil d’administration composé de treize des quelques deux-cent adhérent.es.
L’équipe des permanents pilote les activités de PING et est force de proposition sur les directions à prendre et les relations à entretenir avec les collectivités ou partenaires. Des échanges hebdomadaires et une réunion par mois entre le Codev (la chargée d’administration, une chargée de projets et moi-même) et le Bureau (composé de trois personnes) veillent au suivi de la structure.
Créer un espace pour partager des enjeux de société
Explorer, décrypter et questionner
L'association PiNG travaille sur de l'accessibilité et la compréhension des enjeux de notre environnement numérique : Questionner le monde numérique dans lequel nous vivons et l’explorer ensemble avec la tête et les deux mains ! Telle est l’utopie à défendre.
Culture vraiment libre ?
Nous défendons, au delà de l’usage des logiciels libres, une « culture libre » pour des raisons éthiques et pratiques ainsi que pour concilier activités durables et pédagogie : si nous voulons ouvrir le capot des technologies (logiciel), encore faut-il avoir accès au moteur (code source). Cette démarche à présent appliqué au matériel électronique ou au design d’objets croise des problématiques politiques et économiques fortes (propriété industrielle, brevets, …).

Pour que les personnes puissent exercer leurs compétences en terme de programmation et d’électronique, il est nécessaire de disposer de matériels et de logiciels libres, sans quoi les dispositifs numériques nous entourant demeurent des boîtes noires dont il est impossible de comprendre les rouages.
De la même façon que les livres sont lisibles lorsqu’ils sont ouverts, les machines doivent elles aussi être ouvertes, afin que tout un chacun puisse lire le code qui les constitue, mais aussi le modifier, l’améliorer, le partager. C’est ce que nous nommons Culture Libre.

Notre/nos environnement(s)
Poser les enjeux environnementaux de l’impact des technologies fait aussi partie , de notre point de vue, d’une posture réflexive et critique sur ces innovations technologiques. La notion d’obsolescence des produits technologiques est reconnue. Celle-ci prend plusieurs formes : obsolescence technique, obsolescence psychologique, obsolescence planifiée. Cette obsolescence des produits technologiques engage une nocivité évidente sur l’environnement (raréfaction des ressources, pollution dû à la production et au traitement des déchets…) et porte préjudice à la durabilité de notre modèle de société. Il est important de se mobiliser sur ces questions et de proposer des pistes de solutions telles que l’interopérabilité des technologies, le recyclage des matériaux, la promotion de la réparation, la réduction d’une publicité abondante en direction de produits nouveaux et éphémères.

Laboratoire citoyen et social
Notre activité fait écho à celle de la culture libre dans le sens où, tant le processus que les résultats qui en découlent se veulent (au maximum) ouverts et ré-appropriables. En cela, nous entrons de plein pied dans la définiton de laboratoire citoyen auquel nous ajoutons les pratiques de documentation propre aux logiciels libres.
Faire le distinguo entre progrès technologique et progrès social signifie ne plus s’engager en permanence et à l’aveugle dans l’innovation technologique sans en évaluer les impacts sociétaux. Les outils technologiques numériques de plus en plus présents autour de nous ont besoin d’être intégrés à notre monde en toute précaution car ils modifient considérablement l’espace public, les relations interpersonnelles et globalement la façon dont le monde fonctionne. Toute innovation technique/technologique n’est pas forcément souhaitable. Certaines ayant déjà cours soulèvent des questions éthiques majeures, notamment sur la façon dont ces inventions sont gouvernées et inventées. Une mise en débat publique s’avère essentielle, publique donc dans un espace qui ne soit ni le marché ni l’État donc la société civile.

Fabriquer un programme d’activités
Nos actions s’articulent autour de trois pôles complémentaires et identifiables :
En tant qu’association « ressources » pour la ville de Nantes, nous disposons de trois espaces de travail (bureau, salle de réunion,salle atelier) au pôle associatif du 38 Breil et d’un grand atelier de fabrication numérique sur l’île de Nantes ‘Plateforme C’. Cela constitue la partie ‘ateliers’ de nos activités, elles sont accessibles à nos adhérents ou aux personnes venant à nos formations, aux étudiants dont les écoles sont partenaires.

D’autre part, nous animons un réseau régional d’espace public numérique « Parcours numérique », regroupant environ deux cent lieux en région Pays de la Loire. Ces espaces sont de tout type (médiathèque, espaces associatif, centre d’art, ressourcerie,…) et se caractérisent par un accès au grand public accompagné par un médiateur. La présence de médiateurs est un enjeu majeur pour une réelle appropriation, nous nous sommes engagés à leur créer un espace ressource et une mise en réseau. L’animation de ce réseau ouvert consiste en une newsletter mensuelle, des temps de rencontres professionnelles annuels, une cartographie et des portraits de médiateurs. Nous effectuons aussi de la mise en réseau au niveau national et international sur les sujets propres aux cultures numériques.

Enfin, nous explorons de ‘nouvelles’ thématiques en collaborant avec des chercheurs ou ‘explorateurs associés’1 sur des sujets qui par la suite sont amenés à être proposés soit en local au sein de nos ateliers, soit sur les réseaux régionaux ou autres. A titre d’exemple, nous avons quatre sujets de recherche en cours : les projets Art/science/technologie/société à l’heure des bouleversements climatiques, l’obsolescence des technologies, la culture libre et la propriété intellectuelle des objets, les pratiques de micro-édition et de pérennité d’archives numériques. Ces sujets sont co-animés par un chargé de projets de l’association, ouvert à nos adhérents. Les formes ne sont pas pré-définies : résidence artistique, travail de documentation et de veille, workshop et pratique d’ateliers, arpentage de livre, café pédagogique, accompagnement de demandes,… Les ‘explorateurs associés’ sont soit issus du monde académique, soit engagés dans une démarche de recherche-action indépendante.

Pour résumer, trois pôles :

  • Transmettre : ateliers de Pratiques
  • Coopérer : animation de réseaux
  • Explorer : expérimentations thématiques

2. Acteur-chercheur collectif

Depuis sa création, le travail de PiNG a toujours navigué entre veille et recherches, expérimentation et projets, puis transmission et ressources afin de chercher à décrypter au plus près les enjeux inhérents à la culture numérique omniprésente dans nos sociétés. Si cette démarche que l’on peut qualifier de recherche-action n’est pas récente, elle n’est vraiment formalisée que depuis peu : À l’image de la culture numérique, orientée « libre » dans laquelle nous évoluons et que nous questionnons, la démarche de recherche-action de PiNG est un processus en mouvement et ouvert. En mouvement…. Les sujets que PiNG interroge évoluent rapidement. Afin de pouvoir suivre ces évolutions et mettre en perspective nos sujets de réflexion, notre démarche se veut itérative. Dans cette optique, PiNG essaie de créer des espaces de réflexion et de projets agiles, propices à l’expérimentation. Ouverte…. Notre démarche fait écho à celle de la culture libre dans le sens où, tant le processus que les résultats qui en découlent, se veulent ouverts et ré-appropriables. Depuis la création de l’association, de nombreux sujets ont fait l’objet d’un travail de recherche-action : … mémoires, archivages des médias et territoires locaux (projet mémo-cité à Rezé) … seniors, TIC et créativité (ateliers découvertes reNUM)… laboratoires de cultures numériques (labtolab)… Archivage de l’Art Numérique (REMAKE). …La culture numérique est omniprésente dans nos sociétés et de ce fait, PiNG s’engage bien souvent sur des sujets qui ouvrent sur des enjeux sociétaux « extra-numériques » ou plutôt TRANSnumériques.

3. Chargé de « bricolage culturel »

Bricoleur culturel et autodidacte en montage de projets artistiques et culturels, je participe moi aussi à l’exploration des « sentiers numériques» en ouvrant des «lieux» de pratique et de ré-appropriation des technologies où les questions "d'émancipation collective et de transformation sociale1" traversent nos espaces de pratique.

Je me suis depuis quelques temps intéressé en lien avec ma pratique de recherche- (en)-action, aux travaux d’Hugues Bazin (LISRA, laboratoire d’innovation sociale par la recherche-action), notamment au sein du groupe de travail de la MSH Paris Nord. Cela regroupe à présent une vingtaine d’initiatives diverses en France. La démarche collective mise en mouvement par le LISRA s’appuie sur les trois pieds de la recherche-action : méthodologie, démarche et référentiel. En privilégiant les outils qualitatifs (monographie, enquête, entretien, récit de vie, atelier coopératif), les acteur-chercheurs de la MSH Paris Nord partage des problématiques de travail en nous inscrivant tout d’abord dans un processus réflexif. En échangeant sur des expériences diverses, nous posons des points de repère, des tentatives de références afin de constituer une grammaire commune. Par exemple, « les squats, une alter-urbanité riche et menacée » décrite par Arthur Bel, « la redéfinition de l’espace du bidonville à travers les arts politiques et la pédagogie sociale » analysée par Victoria Zorraquin, « un centre socioculturel embarqué sur une péniche pour la paix » par Éric Sapin.
La notion de ‘laboratoire social’ en réseau portée par le LISRA se décline autant de façon opérationnelle dans les actions portées par tous, que sur le plan du débat des idées.

4. Développer une structure culturelle

outillage numérique au coeur du tissu associatif
Ping soutient les démarches associatives et citoyennes au-delà de sa propre histoire, non seulement pour souligner l’importance d’une action citoyenne autre que l’État et le marché mais aussi pour les valeurs que ce mouvement porte. La loi 1901 comporte une valeur essentielle : activités à but non lucratif. La non-lucrativité signifie que la finalité de la structure n’est pas de dégager un bénéfice qui sera reversé à des actionnaires. Financer des salaires est l’une des priorités. Il existe deux manières légales de sortir de l’argent d’une association : des salaires et des factures.

Pour diverses raisons, nous avons choisi d’être salarié·e·s de PiNG. Nous sommes aussi acteurs de la gouvernance. Ceci est possible parce que chaque salarié·e est subordonné·e au collectif qui forme la gouvernance en relation permanente avec le bureau et le conseil d’administration comme je l’expliquais précédemment. Chaque salarié.e de nous est subordonné au collectif, sans hiérarchie mais avec des instances de décision et d’animation (comité de rédaction, comité de développement, comité de gestion des ateliers). S’insérant dans la mise en œuvre de politique publique, nous sommes « l’économie au de-là du marché, la politique au-delà de l’État ».

Assumant un rôle d’aiguillon de l’action publique, se heurtant parfois au cadre institutionnel, notre périmètre d’actions croise les questions d’utilité sociale, d’économie sociale et solidaire et des biens communs. Le positionnement de l’association est au cœur d’un triangle dont les sommets seraient l’association classique et son terreau de militants-bénévoles, l’association née de l’externalisation d’un service public (comme à l’Accoord à Nantes qui organise les accueils de loisirs et les centres de vacances pour la Ville dans le cadre d’une délégation de service public) et une structure d’aide à la maîtrise d’ouvrage, consultante pour les politiques publiques (comme me faisait remarquer Laurent Devismes).
Ni association locale, ni monde de la culture ni dans le réseau des fabriques, le positionnement de PING est singulier. Aiguillon de politique publique, l’association se glisse volontiers dans un modèle « old school », à l’ancienne : prototyper certes, mais pour que le service public mette en œuvre ensuite et déploie des ateliers de fabrication -par exemple - partout plutôt que dans quelques lieux-phares. C’est important à l’heure où se déploient deux tendances éloignées de ces enjeux : fantasmes des startups d’un côté et retour d’une vision caritative et bénévole du monde associatif de l’autre..