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Pas de pétrole, mais de l'Auto-Tune

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Brouillon du texte 5 Mars 2020

Titre :

Pas de pétrole, mais de l'Auto-Tune

Auteurs :

Caroline Creton, docteure en Sciences de l'Information et de la Communication, ATER Université de Nantes
avec le soutien de Julien Bellanger, Chargé de développement à l'association PiNG, Nantes

Introduction

Cher, T-Pain, Saez, Châton, Booba, Benjamin Biolay, Bon Iver, Yung Beef, Lady Gaga, Neil Young ou encore PNL, au-delà des esthétiques, tous ces artistes ont en commun l’usage de l’Auto-Tune. Ce dernier désigne un logiciel permettant d’ajuster, de corriger la voix à la suite d’un enregistrement ou durant une performance. On se souviendra notamment de la panne du logiciel lors d’un concert du rappeur français PNL, en juillet 2017 [ YouTube, «PNL Panne d’autotune en plein concert , GROS MALAISE !!! (a voir) », publié le 30/07/2017 [en ligne] Source : https://invidio.us/watch?v=64hoY-IJDc [consulté le 29/02/2020]]. Si initialement, l’Auto-Tune permet de chanter juste, cela est également utilisé pour produire des modulations sonores donnant un caractère artificiel, robotique, non linéaire à la voix humaine.

Cette innovation provient d’un tout autre univers que celui de la musique : de l’industrie pétrolière. En effet, son inventeur, Andy Hildebrand, un mathématicien travaillant pour Exxon, avait développé une technique permettant - à partir d’une explosion - d’analyser les ondes acoustiques dans le sol et d’en déduire la présence ou non de pétrole. En 1989, il quitte le domaine de la prospection pétrolière pour se consacrer à sa passion pour la musique et crée Antares Audio Technology. Dans cette nouvelle entreprise, il développe un logiciel d’analyse sonore qui cette fois concerne non plus le sous-sol mais la voix humaine. C’est ainsi que naît l’Auto-Tune qui décompose la voix dans un morceau musical et permet de l’ajuster pour chanter juste.

La première à utiliser cette technologie est Cher avec son titre « Believe » sorti en 1998 qui connaît un succès retentissant. Depuis, si quelques artistes - à l’image de Jay-Z et son titre D.O.A. pour « Death of Auto-Tune » (2009) - dénoncent cette pratique, l’Auto-Tune a conquis l’industrie musicale et serait utilisé dans la quasi totalité des productions (Reynolds, 2019), toutes les esthétiques confondues, en se faisant plus ou moins discret.

Alors que cette technologie est devenue une pratique dominante dans l’industrie musicale, encore peu de travaux académiques abordent cette question. Notre contribution a pour but de soulever différents enjeux liés à l’Auto-Tone et s’appuie sur les travaux portant sur les industries culturelles, les popular music ainsi que sur une analyse des productions artistiques dans un contexte d’abondance numérique et de consommation illimitée (Auray, 201x) (Pasquier, 2017) ?.

1. Appropriation technique, musique enregistrée et authenticité

L’émergence de la musique enregistrée permise par l’invention du phonographe en 1877 de Thomas Edison, marque un véritable tournant dans le rapport des individus à la musique qui, jusqu’à cette époque, était attachée à un lieu où elle se jouait en live. En détachant la musique des musiciens, en la figeant sur un support, qui plus est reproductible, Edison et Berliner rendent possible sa valorisation marchande à grande échelle, de type capitaliste (Perticoz, 2012). Cela s'accompagne d'une nouvelle expérience tant pour les auditeurs, celle de collectionner, d'écouter, de ressentir la musique en l’absence de musiciens, dans un cadre privé, que pour les musiciens qui en passent par la technique pour immortaliser leur performance.

Cette médiation jouée par la technique dans la production et la réception de la musique n’a eu de cesse d’interroger l’authenticité de la création musicale. Dès lors que cette dernière est encadrée, retouchée, calibrée par la technique et les acteurs qui l’entourent, peut-elle encore être l’expression intime de l’artiste, de son intériorité ?

Ce questionnement est particulièrement prégnant pour le champ des musiques populaires [le terme musiques populaires provient de l’anglais popular music qui désigne l’ensemble des esthétiques musicales issues de l’industrialisation de la musique. En France, la polysémie de l’expression “populaire” donnera lieu à d’autres tentatives d’appellations, comme “musiques amplifiées”, par le sociologue Marc Touché, ou “musiques actuelles” par les acteurs des politiques publiques] qui, contrairement à la musique savante ou folklorique, ont émergé suite aux possibilités techniques permises par la reproductibilité mécanique (Julien, 2010). Toutes les esthétiques des musiques populaires ont comme point commun cette intermédiation jouée par la technique qui assemble différents éléments permettant un tout cohérent, faisant de la musique enregistrée une construction comme nous le rappelle de manière très imagée Simon Reynolds (2019, p. 29) :

"Il est fort probable que chaque partie chantée que vous entendez à la radio aujourd’hui soit un objet sonore complexe soumis à toute une chaîne de traitements. Le phénomène est comparable à la chevelure d’une pop star. Ses cheveux ont probablement été teints, coupés, structurés puis recouverts de produits capillaires et éventuellement enrichis d’extensions. Le résultat peut donner une impression naturelle et même un effet savamment décoiffé, mais reste une fabrication soignée et sculptée à l’extrême. Les disques subissent un traitement similaire".

Les innovations techniques se succédant, la qualité de l’enregistrement a gagné en clarté sonore faisant presque oublier l’artifice qui se joue dans la production de musique enregistrée. Mais la place de la technique remet en cause l’authenticité du geste artistique qui se décompose en de multiples traitements, arrangements, agencements où les techniciens et les logiciels occupent une place de premier ordre et cadrent la production artistique. L’Auto-Tune s’inscrit dans ce cadrage technique de la production artistique en se plaçant au plus près du corps du chanteur et de son organe, la voix, pour la recomposer. Catherine Provenzano soutient justement que l'Auto-Tune sert au dressage des voix féminines qui - dans la société patriarcale - seraient perçues comme : " not rational, marketable, or correct until disciplined by men and software" [non rationnelle, non commercialisable ou non correcte tant qu’elle n’est pas disciplinée par les hommes et les logiciels"]. Ainsi, le morceau final résulte indéniablement de coopérations et de négociations qui se jouent dans les arènes de la production artistique entre les artistes, le personnel de renfort (Becker, 1988) assistés par des machines.

Si le caractère authentique est somme toute relatif dans la production de musique enregistrée, le monde de l'art est traversé par plusieurs visions de la culture. La première serait commerciale et chercherait l'effet sur le public, une seconde serait authentique et revendiquerait l'expression intime de l'auteur, servant au passage la différention symbolique entre sous-cultures (Le Guern, 2012). Entre ces deux visions, l'Auto-Tune semble justement s'inscrire dans la première acceptation de la culture en cherchant à produire des effets sur les auditeurs en proposant des voix parfaites. Cette promesse de perfection produit parfois un aspect “naturel”, presqu’invisible, venant combler les défauts humains, l’instabilité des voix. Cependant, son usage est aussi détourné en jouant avec les effets, produisant des sons surnaturels avec une présence marquée et revendiquée du logiciel. De ce fait, l’Auto-Tune ré-interroge la place de la technique dans la création et le cadrage qu’il opère. Et si nous avons abordé la question de la musique enregistrée, les concerts live de grandes productions ne sont pas épargnés par la présence de logiciel d’Auto-Tune qui modifient en direct la performance vocale (Prevanzano, 2019).

Ces aspects abordés, il semble nécessaire de replacer cette technique dans le cadre socio-économique des industries culturelles régies par des logiques marchandes.

2. Processus de rationalisation de la production musicale des maisons de disque et l'avènement de la production amateur

Replacer l’Auto-Tune dans le cadre des industries culturelles, c’est comprendre comment cette technique s’inscrit dans l’économie de la production musicale à la fois concernant le pan industriel des maisons de disques ayant pignon sur rue, tout comme celui de la production qui se situe à ses marges, dans des formes d’artisanat musical.

Concernant l’univers industriel de la production musicale, le début des années 2000 inaugure une baisse continue des ventes de musique enregistrée sur le marché mondial (Bourreau et Labarthe-Piol, 2006) jusqu’au retour à la croissance en 2016 [Snep, La production musicale française, publié le 25/02/2020 [en ligne]. Source : https://snepmusique.com/wp-content/uploads/2020/02/bilan-2019-BD-2402k.pdf [cosulté le 8/03/2020]]. Face à ces difficultés financières, le secteur engage différentes actions de rationalisation du processus de production artistique. Tout d’abord, des licenciements s'opèrent dans de grandes maisons de disques [StamaneLundi Anne-Sophie, “Ils ont osé le faire : les maisons de disques virent leurs artistes, publié dans le journal L’humanité, le 12/04/2004 [en ligne]. Source : https://www.humanite.fr/node/303679 [consulté le 01/03/2020]]. Par ailleurs, le soutien aux groupes émergents se restreint faisant de l’autoproduction une étape incontournable dans le parcours d’une formation musicale avant de pouvoir bénéficier de l’appui de professionnels de la filière (Garcin, 2015). Enfin, l’Auto-Tune peut être perçu comme une autre forme d'adaptation de l'industrie musicale puisqu'il permet de limiter le nombre de prises pour arriver au “meilleur son”, limitant les coûts de location de studio, particulièrement onéreux. Ainsi, " ces instruments garantissent une économie de main-d’œuvre, un atout particulièrement intéressant pour les superstars à l’emploi du temps surchargé” (Reynolds, 2019, p. 28). L'usage de l'Auto-Tune répond ici à une rationalisation de la production artistique comme le décèle Catherine Provenzano (2019) qui montre que le recours à la correction vocale, se fait généralement sans l’accord des artistes, y compris lors des séances d’enregistrement. Les ingénieurs du son, occupant des positions précaires dans le secteur, font en sorte que les enregistrements “sonnent bien” pour espérer obtenir de futurs contrats en s’ajustant aux normes esthétiques de l’industrie en matière vocale (Ibid, p. 71). Selon l'auteure, cela produit deux effets. D'une part, “by deciding the versions of their voices that circulate to be sold, those with the decision-making and sound-molding power set standards and terms that become all but non-negotiable”, d'autre part “they also position singing women as interchangeable, even the female performers at the very top” (Provenzano, 2019, p.72) [En décidant des versions de leurs voix qui circulent pour être vendues, ceux qui ont le pouvoir de décision et de moulage sonore fixent des normes et des conditions qui deviennent pratiquement non négociables. Ils positionnent également les chanteuses comme interchangeables, même les interprètes féminines au plus haut niveau.]. Il devient alors complexe pour les artistes de s’opposer à cette tendance.

Cette recherche de la perfection vocale s’inscrit dans les logiques inhérentes aux industries culturelles qui font face à diverses incertitudes, portant notamment sur le succès des œuvres produites (Miège, 2017). Au-delà des mécanismes connus tels que le recours à de nouveaux talents pour renouveler le catalogue, les maisons de disque usent de la technique pour "embellir" la voix naturelle. L’Auto-Tune apparaît donc comme une forme de gestion de l’incertitude de l’organisation socio-économique de la production, de ses impératifs commerciaux et de rationalisation du processus de production. Toutefois, à l’autre pôle de la production musicale - dans la production indépendante - l’Auto-Tune fait également flores. Comment analyser ce phénomène ?

Loin d’avoir tué la musique, le numérique l’a rendue accessible techniquement comme jamais à la fois pour l’écoute que pour la création musicale. Ainsi, la crise du disque semble davantage comme une crise du point de vue des industriels pour qui la filière est devenue moins attractive économiquement. Mais si l’on déplace la focale sur les pratiques musicales, l’on peut tout à fait nuancer cette crise. Effectivement, dans la même période « la pratique musicale, les usages liés à la musique continuent de se développer, qu’il s’agisse de création ou de production, de fréquentation de concerts, d’écoute musicale individuelle ou encore d’innovations techniques. » (Pucheu et Matthews, 2006).

Concernant la création musicale, elle fait preuve d'une grande vivacité, notamment d'amateurs, semi-professionnels ou en voie de le devenir qui participent au dynamisme culturel sans en tirer leur rémunération principale. Ces musiciens, chanteurs ont pu bénéficier de divers outils facilitant la production sonore et l’enregistrement (home-studio). La rapidité et la facilité de production et de diffusion de musique enregistrée offertes par le home-studio renversent significativement l’espace-temps de l’enregistrement, en permettant aux musiciens d’enregistrer là où ils le souhaitent au moment où ils le souhaitent. L’Auto-Tune s’inscrit dans cette accessibilité à la production musicale et participe au foisonnement d’une création aux moyens humains, financiers ou techniques limités. Selon Nick Prior, ces techniques ont d'ailleurs fait surgir la figure d’un « nouvel amateur » dont la qualité de production se rapproche des professionnels (Prior, 2012).

Alors que la production musicale semble s’être démocratisée d’un point de vue technique et financier, sa diffusion et médiatisation en est aussi facilitée grâce à différentes plateformes où le public peut commenter, relayer et parfois annoter celles-ci dans une sorte de circuit-court connecté (YouTube, SoundCloud, Facebook, etc.). Cependant, l’univers médiatique saturé d’informations soulève un nouvel enjeu pour les producteurs de musique, celui de la visibilité comme le soulèvent les travaux sur l’économie de l’attention (Citton, 2013). Cela a fait émerger une offre de services payants de la part d'infomédiaires afin d'accroître la visibilité de ces productions (Creton, 2018).

3. Globalisation vs ré-appropriation de l'Auto-Tune

En troisième point de cette réflexion nous aimerions aborder la question des esthétiques musicales produites par l’Auto-Tune et de leur diversité. Dans une vision alarmiste, cette technique menacerait l’hétérogénéité des voix et des techniques de chants par l’ajustement implacable de l’Auto-Tune. La richesse musicale viendrait alors à s’amenuir pour aboutir à une ère de la globalisation vocale où d’un bout à l’autre de la planète on pourrait rencontrer des voix uniformément justes mêlées aux voix de synthèse de la SNCF, des g__gle home, dans un contexte d’acceptation des machines « imminentes ». Dans une autre perspective, l’Auto-Tune pourrait rencontrer la capacité d’artistes à détourner ses fonctions, à l’incorporer à des esthétiques diverses issues de contextes territoriaux spécifiques. Face à la première vision globalisante, l’Auto-Tune servirait ici, au contraire, à renouveler la créativité dans une vision trans-localisée. Des travaux ont justement questionné la circulation des formes musicales en montrant la capacité d’adaptation des productions mondialisée au sein de scènes locales qui les réinterprètent, les réagencent (Straw, 1991; Guibert, 2006).

Ici, plusieurs éléments éclairent ces deux pistes. Tout d'abord, on observe un usage ostentatoire de l'Auto-tune dans de nombreuses productions musicales, devenant ainsi un effet de style, une esthétique. Dans ce mouvement, une place prédominantes est accordée aux chanteur.es, à leur texte plus ou moins compréhensible, à leur voix.

A finir:
Cependant, l'Auto-Tune est aussi mobilisé dans des productions qui prennent le contre-pied des super-productions.

De plus, non sans faire réagir leurs publics, des collaborations croisées, comme celle de Bon Iver (artiste folk) avec Kanye West (artiste rap) déjouent les catégories instituées pour créer de nouveaux espaces esthétiques (Le Guern, 2012, p. XXX).

Face au déferlement de voix post-humain, la voix, le slam, le texte reprennent leur influence principale sur la musique. Tout du moins, ces éléments verbaux guident à présent le chemin de la musique et non l'inverse dans une tension avec les techniques de l'Auto-tune, comme si tous les effets de sampling, compression, effets post-production passaient en arrière plan. Des productions actuelles qui mélangent posture intime, images de corps hybrides et parole auto-tunée, portent un regard réflexif sur l’industrire musicale, et l’aliénation du chanteur-image (voir Adèle, le label PC Music, Yung Beef, …), une sorte de self quantified de l’artiste moderne. Les paroles s'articulent autour de récits très précis pour emmener l'auditeur au coeur de "l'être chanteur". Au croisement des esthétiques, on assiste à l'introduction de l'intime dans le récit du rap et derrière la violence des propos se cachent des réflexions plus profondes, notamment sur le masculin-féminin. En tissant des liens et des lignes avec un historique plus lointain sur l'origine de la musique "chantée", l'Auto-tune permet d'être actuellement l'artefact numérique d'un retour à l'expérience, d'une interstice pour l'improvisation. En distinguant la différence entre la parole et le chant, entre la musique et le langage dans la tradition occidentale, Tim Ingold s'interrogeait ainsi : " Comment se fait-il que la nature musicale du chant, d'abord défini par ses éléments verbaux, en soit venue à être définie, du point de vue de la mélodie, harmonie, rythme ? et réciproquement comment le son s'est-t-il trouvé exclu du langage ? "
Si le son est l'essence de la musique, le langage est muet. Ici, le rap redonne du son aux mots, voir le souligne, le rend mélancolique, lui donne aussi des variations, des différences, des oscillations. Comme si plusieurs chanteurs se trouvaient en un seul, un "hypertexte" du chant sur le mot ou la syllabe renvoyant vers d'autres territoires harmoniques, rithmiques. "Quand les mots et la musique s'associent dans le chant, la musique absorbe les mots -Susanne Langer,1953"

Cette appropriation des esthétiques peut se doubler d'une réflexion plus large sur les conditions d’appropriation sociale et culturelle de techniques numériques développées par le secteur marchand, à l'instar de l'Auto-Tune. Son contournement, détournement, ré-appropriation sont-ils des leurres ou constitutifs du mouvement des cultures numériques ?

Cette expérience du chant associé aux écoutes nomades, par enceinte bluetooth, téléphone portable, .. crée des dispositifs en réseau du type de ceux décrits par F. Guattari. Ils permettent de travailler le "moléculaire", de construire des "agencements", des "couplages machiniques". Cette ré-appropriation technique réalisée par les chanteurs-producteurs propose des environnements où chaque individu perçoit l'onde sonore comme elle est à présent graphiquement proposé dans les logiciels audio.

Le corps, la voix, la parole ne peuvent plus être pensés hors de son devenir technologique, sans penser, ou commenter la manière dont il est augmenté par ses 'prothèses' communicantes, par les flux d'informations, d'énergies qui la traversent. Ces sujets individuels qui nous racontent leurs micro-histoires, leurs récits de vie tentent de s'autonomiser, en se singeant plutôt que de proposer s normalisations.

On pourrait revenir sur l'histoire de la radio, du son plus grave et distordu, du flux et reflux, de l'écoute répétée de certains morceaux, voire de certaines parties des chansons (application tik tok, etc ..) pour envisager l'avénement d'expériences musicales, d'événements de partage culturel davantage performatifs que normatifs.

Ainsi, alors que le global est l'espace de la domination, de l'uniformisation, de l'homogène, le corps (la voix) est le lieu du divers, du multiple, du polymorphe, qui permet de cultiver, fertiliser l'autonomie, la transformation sociale nous rapelle le manifeste pour la micro-radio de Tetsuo Kogawa, l'avénement de la multitude.

Conclusion

Ainsi, alors que le global est l’espace de la domination, de l’uniformisation, de l’homogène, le corps (la voix) est le lieu du divers, du multiple, du polymorphe, qui permet de cultiver, fertiliser l’autonomie, la transformation sociale nous rappelle le manifeste pour la micro-radio de Tetsuo Kogawa, l’avènement de la multitude.
Le corps, la voix, la parole ne peuvent plus être pensés hors de son devenir technologique, sans penser, ou commenter la manière dont il est augmenté par ses ‘prothèses’ communicantes, par les flux d’informations, d’énergies qui la traversent. Notre temps moderne nous vends un dépassement de notre obsolescence par l'idolâtrie technoscientifique. L'économie de nos désirs promet de conjurer nos peurs, d'affiner une "mesure de soi" [Quantified self] californienne. Pourtant, comme le rappelle Jonathan Sterne, nos corps quand bien même sont-ils l'espace du cyborg, ils ne seront jamais identiques et homogènéisés. La maîtrise de nos sens est vaine, la diversité et l'imperfection de nos sens constituent le socle d'une multitude culturelle.

"Nos oreilles et nos yeux sont des filtres, ce sont des 'dispositifs de traitement de signaux' (Friedrich Kittler 2009-217). Si l'on considérait les facultés de voir, d'entendre et de parler à partir de leurs limites, si nous nous pensions commes des sujets qui en affrontent constamment la finitude, nous élaborerions une phénoménologie de la culture très différente." (J. Sterne)

Cette contribution aux réflexions sur l’Auto-Tune aura permis d’identifier différents enjeux que posent cette technologie et appelle à des recherches croisées (académiques, recherche-action, recherche-création, pratiques d'appropriation), pour comprendre comment les musiciens et techniciens inscrits dans différentes strates de la production artistique se saisissent de ce dispositif et le perçoivent, mais aussi d'écarter quelques préjugés et raccourcis.
Cette démarche scientifique pourrait porter un regard attentif aux recherches créatives qui mobilisent l’Auto-Tune et font évoluer sa présence dans les productions, autant dans la filière industrielle de la musique que dans les marges de cette dernière.

Références bibliographiques

Becker Howard Saul, 1998, Les mondes de l’art, traduit par Jeanne Bouniort, Flammarion, coll. « Art, Histoire, Société », Paris, France, 379 p.

Brabazon Tara, 2012, Popular Music: Topics, Trends & Trajectories, Sage, 296 pages

Citton Yves, 2013, « Économie de l’attention et nouvelles exploitations numériques », Multitudes, vol. 3, n° 54, p. 163-175 [en ligne]. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-multitudes-2013-3-page-163.htm [consulté le 10/04/2019].

Creton Caroline, 2018, « To pay or not to pay : les musiciens à notoriété locale face à la publicité ciblée sur Facebook », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, vol. 2, no 19, p. 15-28 [en ligne]. Disponible sur : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2018-dossier/01/ [consulté le 29/11/2018].

Julien Olivier,2010, « Musiques populaires » : de l’exception culturelle à l’anglicisme », dans Musurgia, vol. XVII, n°1, p. 49-62 [en ligne]. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-musurgia-2010-1-page-49.htm [consulté le 05/05/2019].

Garcin Pierre, 2015, « Devenir musicien dans l’ère numérique », dans Sociologie de l’Art, vol. 1, OPuS 23 & 24, p. 93-109 [en ligne]. Disponible sur : http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=SOART_023_0093 [consulté le 28/022017].

Guibert Gérôme, 2006, La production de la culture : le cas des musiques amplifiées en France, IRMA, Paris, France, 558 p.

Le Guern Philippe, 2012, "Irréversible ? Musique et technologies en régime numérique", dans Réseaux, vol. 2, n° 172), pages 29 à 64

Pasquier Dominique (dir.), 2017, Explorations numériques. Hommages aux travaux de Nicolas Auray, Presses des Mines, coll. "i3" 276 p.

Perticoz Lucien, 2012, "La mise en musique du quotidien", dans J. Matthews, L. Perticoz (dir.), L’industrie musicale à l’aube du XXIe siècle : approches critiques, L’Harmattan, coll. « Questions contemporaines », Paris, France, p. 21-44.

Provenzano Catherine, 2019, "Making Voices. The Gendering of Pitch Correction and The Auto-Tune Effect in Contemporary Pop Music", Journal of Popular Music Studies, vol. 31, n°2, pp. 63–84.

Miège Bernard, 2017, Les industries culturelles et créatives face à l’ordre de l’information et de la communication, Presses universitaires de Grenoble, coll. « Communication en + », Grenoble, France, 191 p.

Reynolds Simon, 2019, traduit par Jean-François Caro, "Gloire à l’Auto-Tune", dans Audimat, n°11, pages 15 à 63

‪Sterne Jonathan, Sklower Jedediah et Heuguet Guillaume, 2017, "Du charivari au big data. Les musiques populaires au prisme des sound studies‪"", dans Volume !, 2017/2 (14:1), pages 175 à 192

Straw Will, 1991, « Systems of articulation, logics of change : communities and scene in popular music», Cultural Studies, vol. 5, no 3, p. 368-388 [en ligne]. Disponible sur : https://www.academia.edu/4636565/SYSTEMS_OF_ARTICULATION_LOGICS_OF_CHANGE_COMMUNITIES_AND_SCENES_IN_POPULAR_MUSIC [consulté le 07/10/2016].

Touché Marc, 2008, « Avis de tempête, musiques amplifiées sur la planète, le livrage électrique », dans les Cahiers de l’Orcca, n°28, p. 9-12.

Tremblay Gaëtan, 2008, « Industries culturelles, économie créative et société de l’information », dans Global Media Journal - Canadian Edition, vol. 1, n°1, p. 65-88 [en ligne]. Disponible sur : http://jacobmatthews.free.fr/ICCdocument_13_Tremblay.pdf [consulté le 26/08/2017]

Tetsuo Kogawa http://syntone.fr/un-manifeste-pour-la-micro-radio/

Tim Ingold Une brève histoires des lignes

Explorations numériques - Hommage à Nicolas Auray, Dominique Pasquier,

https://www.youtube.com/watch?v=cTGQrA5HHIU
Il y a un formidable article de Simon Reynolds qui a paru dans Pitchfork
https://pitchfork.com/features/article/how-auto-tune-revolutionized-the-sound-of-popular-music/
et il a été traduit dans la revue AUDIMAT, scan en PJ.
Sinon, j'ai un truc d'une acousticienne du CNRS, plus technique, de Coralie Vincent, dans le mail suivant.
Et un article cultural studies que j'ai pas encore lu : Making voices
Et pour finir : Katerine le boss!

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https://www.youtube.com/watch?v=liX3OvoxlF4

d'une approche historiques, sciences et récits de l'inventeur/tion

  • page wikipedia
  • recherche sur l'algo

aux questions du

  • temps/algo/prédective : de la recherche sur google prédective à la voix en avance
  • question de l'écoute/des système de diffusion (de la radio au mp3,..), homogénisation des sons
  • de la voix, du timbre, des fréquences aux langages numériques, différence avec la synthèse vocale et aussi avec le vocodeur

versus

ouverture

  • histoire de la musique médiéval
  • tim ingold et la notation de la musique
  • Abondance en régime num, Nicolas Auray

Extraits (coupures)

  • (Le Guern, 2012, p. XXX)"Mais en même temps, l’usage ostentatoire de l’Auto-tune est devenu un effet de style de l’esthétique rap ou R’n’B (T-Pain, Lil Wayne, Kanye West…) [..]. Certains artistes situés dans la frange indie-folk, tels Justin Vernon alias Bon Iver, signé sur le label emblématique 4AD, ont fait un usage inattendu – compte tenu de leur fort capital symbolique sur la scène indépendante et de l’authenticité qui leur est prêtée – de l’auto-tune: là encore, observer la façon dont ses fans tentent de rationaliser ou de dénoncer l’emploi discordant de cette technologie par Bon Iver est riche d’enseignement. Ses partisans replacent son emploi d’Auto-tune dans une forme de réflexivité"
  • "L'Auto-tune reste une technologie potentiellement schizophrène : d’un côté, il est l’outil par excellence de la chirurgie esthétique sonore la plus récente, apte à façonner les voix pour les transformer en idéal hautement désirable et commercialisable (Céline Dion, Madonna, etc.) ; de l’autre, détourné de son usage premier, il peut devenir une marque de fabrique, un effet de style en soi (voire une nouvelle norme : c’est le cas dans le rap ou le R’n’B)" (Le Guern, 2012, p. 43)*
  • " As I interviewed and spent time with workers, I was surprised to find out that tuning often happens outside of consultation with the artist. This occurs at several stages. First, some engineers choose to turn on pitch correction in the artist’s headphones while tracking, so that she hears a tuned version of herself in real time. The singers feel like they are “superman,” engineers say, which facilitates emotional delivery and session “flow.” (Provenzano, 2019, p .69) [Lors des entretiens et des rencontres avec les travailleurs, j'ai été surpris de constater que l'accord se fait souvent en dehors de la consultation de l'artiste. Cela se produit à plusieurs étapes. Tout d'abord, certains ingénieurs choisissent d'activer la correction de hauteur dans les écouteurs de l'artiste pendant le suivi, afin qu'elle entende une version accordée d'elle-même en temps réel. Les chanteurs ont l'impression d'être des "surhommes", disent les ingénieurs, ce qui facilite la transmission des émotions et le "flux" de la séance. ] >> ah oui quand même, on est pas loin du transhumanisme OU de la version punk du cyborg de Donna haraway !!

Cependant, « It is important to remember that recordings are illusions of sounds that never existed. They are mixed, remastered, edited, cut, reordered and reorganized to render them suitable for the dominant sonic platform of the day »[ Traduction personnelle : «Il est important de se rappeler que les enregistrements sont des illusions de sons qui n'ont jamais existé. Ils sont mixés, remasterisés, montés, coupés, réordonnés et réorganisés pour les rendre adaptés à la plate-forme sonore dominante de l'époque ».] (Brabazon, 2011, p 59).

"Tout enregistrement est intrinsèquement artificiel, que le fait de « mettre la voix en boîte » afin d’être réactivée à loisir dans des lieux et des époques éloignés de l’enregistrement initial est contre-nature, ou du moins crée une profonde rupture avec le temps où, des millénaires durant, les êtres humains devaient se trouver en présence des musiciens pour pouvoir les entendre [] Au fond, il n’y a rien de forcément « naturel » dans une voix humaine dépourvue d’ornement et d’amplification. Dans la majorité des cas, le chant est le résultat de techniques si sophistiquées qu’on pourrait presque considérer des styles aussi divers que l’opéra, le scat, le yodel et le chant de gorge du Touva comme autant de technologies internalisées"(Reynolds, 2019, p. XXX).

Est-ce-qu'il reste le concert live pour l'authenticité ?
Most high-budget concerts employ Auto-Tune Live and a host of mediating technologies that make them otherwise unreliable sites of a performer’s somehow “real” voice. P 68

The nips and tucks performed in the surgical process of pitch correction shore up a version of the perfected voice.
Les morsures et les repliements effectués lors du processus chirurgical de correction de la tonalité renforcent une version de la voix perfectionnée.

  • processus de marchandisation de l'art : Ces auteurs développent la notion d’industrie culturelle, formule qui vise à exprimer négativement les effets de cette évolution sur l’art en associant deux termes en apparence opposé : l'industrie et la culture. Si la première est le règne de la rationalité, de l’économie, du marché, de la standardisation, la seconde est censé être celui du produit autonome de l’esprit, de la créativité humaine. Ce paradoxe synthétise la pensée des auteurs : l’introduction de l’art dans le processus industriel induit sa perte d'authenticité, d'aura, le cantonne à un objet marchand doté d'une valeur d'échange. Cette mutation des productions de l’esprit en des biens marchands annihile, selon Adorno (1964), l’autonomie des oeuvres d’art, notamment par la perte d’indépendance des artistes vis-à-vis des contraintes économiques (Voirol, 2011), ce qui influence jusqu’à l’esthétique même des oeuvres.
  • Capter le bon moment : "emotion is presumed to be scarce and treasured—the thing that needs to be extracted from the singer, an extraction aided by software—while in the digital space the recorded voice enters, correct pitch is ready-to-hand, ready to be recombined with the singer’s truthful delivery into something of maximum affective potency."p.81 [On présume que l'émotion est rare et précieuse - la chose qui doit être extrait de la chanteuse, une extraction assistée par un logiciel - tout en étant dans l'espace numérique la voix enregistrée entre, le ton correct est prêt à être utilisé, prêt à être recombiné avec la livraison sincère du chanteur dans quelque chose de puissance affective maximale.]"

Article de Catherine Provenzo : question du genre et de l'Auto-Tune, "La correction de hauteur a été utilisée pour perfectionner et naturaliser les voix féminines de manière disproportionnée, et j'examine cela comme une forme de précarité du chant féminin afin de familiariser le lecteur avec le genre de la correction de hauteur, ou le genre de la correction de hauteur. J'expose ensuite les façons dont les voix masculines auto-accordées bénéficient d'une authenticité "artistique", "créative" et "émotionnelle" que les voix féminines auto-accordées reçoivent rarement. Tout au long de ce document, je me réfère à des entretiens ethnographiques avec des professionnels de l'industrie musicale menées à New York et Los Angeles entre 2014 et 2018 pour compliquer les deux des auditions populaires et savantes et des analyses discursives des voix qui tendent à éluder les particularités du travail de la musique pop.""

Commentaires partie 1


(en mode super brouillon, je sais dsl)

  • ARTISANAT NUMERIQUE, cour-circuit, micro-production

    • J'aime bien cette idée, on peut l'intégrer à la troisième partie sous la question l'auto-tune danger d'uniformisation/aide à l'autoproduction et à l'artisanat
  • l'AUTOTUNE COMME l'HYPERTEXTE DE LA MUSIQUE, du texte augmenté

  • ballado diffusion

  • Jacques Ellul avait tort : reprendre mon bout de txt
    idées :

    • l'autotune dans les speechs des politiques ?
    • des implants biotech autotune sous la langue ?
    • l'autotune à l'ecole primaire ?
    • un algo qui remplace les mots, plutot que déformer le son
    • Un traducteur automatique google : https://yamatierea.org/Poesinopinee/
    • un de-autotune à l'écoute pour vérifier la qualité du chanteur
      Chanson en double version
    • glitch et autres alternatives
  • julien recherche sur l'intervention de JB Bayle au THSF de Toulouse https://www.youtube.com/watch?v=77c4GBKldCA

  • Sons fédérés MANIFESTE : https://sons-federes.org/manifeste


TRAckList

thks DJ Brat-Star

  • 01 - 6ix9ine - Hellsing Station
  • 02 - Lil Wop - 1017 Freestyle
  • 03 - Travi$ Scott - Don't Play ft. Big Sean, The 1975
  • 04 - Soulja Boy - Draco
  • 05 - Rico Nasty - Trust Issues
  • 06 - Young Nudy X 21 Savage - Since When
  • 07 - BHAD BHABIE - I Got It
  • 08 - Adamn Killa - Cluckin ft. Z Money
  • 09 - Speaker Knockerz - Erica Kane
  • 10 - Lil Baby - All Of A Sudden
  • 11 - Lil Uzi Vert - Do What I Want
  • 12 - Rich The Kid & Famous Dex - Plug Callin
  • 13 - Juicy J - Feeling Like Obama
  • 14 - YNF Lucci - Boss Life
  • 15 - Kodie Shane - Full Clip ft. Lil Wop
  • 16 - Ski Mask The Slump God - Laffy Taffy
  • 17 - Hoodrich Pablo Juan - Flawless
  • 18 - Lil Wop - Checklist

https://www.youtube.com/watch?v=H1NBVbubs24
et
https://www.youtube.com/watch?v=4RHqWuUYYlI&fbclid=IwAR0x7SvHNi84oUWHiVQBqpByv7VTlaXz8UfYgAd04K2HeFglnoJ2LWel5so

Coupure :
Concernant l'univers industriel de la production musicale, le début des années 2000 inaugure une baisse continue des ventes de musique enregistrée sur le marché mondial (Bourreau et Labarthe-Piol, 2006) jusqu'au retour à la croissance en 2016 [source du snep]. Face à ces difficultés financières, le secteur engage différentes méthodes de rationalisation de la production musicale.

Tout d'abord, on observe des licenciements chez les maisons de disques [StamaneLundi Anne-Sophie, "Ils ont osé le faire : les maisons de disques virent leurs artistes, publié dans le journal L'humanité, le 12/04/2004 [en ligne]. Source : https://www.humanite.fr/node/303679 [consulté le 01/03/2020]]. Par ailleurs, la crise du disque aurait entraîné la réduction du soutien aux groupes émergents (Garcin, 2015), l’autoproduction devenant alors une étape incontournable dans le parcours d’une formation musicale avant de pouvoir bénéficier de l’appui de professionnels de la filière. Enfin, l'Auto-Tune peut être perçu comme une autre forme de rationalisation de la production musicale. Effectivement, cette technique - en ajustant la voix du chanteur - permet de limiter le nombre de prises pour arriver au "meilleur son", limitant les coûts de location de studio, particulièrement honéreux. Ainsi, " à tous les égards, ces instruments garantissent une économie de main-d’œuvre, un atout particulièrement intéressant pour les superstars à l’emploi du temps surchargé" (Reynolds, 2019, p. XX).

Catherine Provenzano (2019) a mené une enquête auprès de travailleurs de l'industrie musicale new-yorkaise. Elle montre les logiques dans lequelles sont pris à la fois les artistes et les techniciens sons. Tout d'abord, elle décèle que le recours à la correction vocale, se fait généralement sans l'accord des artistes, y compris lors des séances d'enregistrement. "By deciding the versions of their voices that circulate to be sold, those with the decision-making and sound-molding power set standards and terms that become all but non-negotiable. They also position singing women as interchangeable, even the female performers at the very top." (Provenzano, 2019, p.72) [En décidant des versions de leurs voix qui circulent pour être vendues, ceux qui ont le pouvoir de décision et de moulage sonore fixent des normes et des conditions qui deviennent pratiquement non négociables. Ils positionnent également les chanteuses comme interchangeables, même les interprètes féminines au plus haut niveau.]. Il reste donc complexe pour les artistes de s'opposer à cette tendance. Par ailleurs, les ingénieurs son, occupant des positions précaires dans le secteur font en sorte que les enregistrements "sonnent bien" pour espérer obtenir de futurs contrats en s'ajustant aux normes esthétiques de l'industrie en matière vocale(Ibid, p. 71).

Cette recherche de la perfection vocale s'inscrit dans les logiques inhérentes aux industries culturelles qui font face à diverses incertitudes, portant notamment sur le succès des oeuvres produites (Miège, 2017). Au-delà des mécanismes connus tels que le recours à de nouveaux talents pour renouveler le catalogue, les maisons de disque use de la technique pour embellir la voix naturelle, comme l'affirme Andy Hildebrand, tout comme le maquillage portée par sa femme (Provenzino, 2019). L’Auto-Tune aopparaît donc comme une forme de gestion de l'incertitude de l'organisation socio-économique de la production, de ses impératifs commerciaux et de rationalisation du processus de production. Toutefois, à l'autre pôle de la production musicale - dans la production indépendante - l'Auto-Tune fait également flores. Comment analyser ce phénomène ?

Loin d’avoir tué la musique, le numérique l’a rendue accessible techniquement comme jamais à la fois pour l'écoute - à tel point que certains parlent de « musicalisation » de la vie quotidienne - que pour la création musicale. Ainsi, la crise du disque apparaît davantage comme une crise du point de vue des industriels pour qui la filière est devenue moins attractive économiquement. Mais si l’on déplace la focale sur les pratiques musicales, l’on peut tout à fait nuancer cette crise. Effectivement, dans la même période « la pratique musicale, les usages liés à la musique continuent de se développer, qu’il s’agisse de création ou de production, de fréquentation de concerts, d’écoute musicale individuelle ou encore d’innovations techniques. D’un point de vue historique, on peut affirmer que l’échange de musique n’a jamais été aussi élevé qu’actuellement » (Pucheu et Matthews, 2006).

Concernant la création musicale, elle aussi fait preuve de vivacité. Parallèlement aux professionnels, beaucoup d’individus participent activement au dynamisme culturel local sans en tirer leur rémunération principale. Ces amateurs ont pu bénéficier de divers outils techniques facilitant la production sonore et l’enregistrement (home-studio) et leur médiatisation (YouTube, Soundcloud, Facebook, etc.). Selon Nick Prior, ces techniques ont fait surgir la figure d’un « nouvel amateur » dont la qualité de production - grâce à l'équipement technique - se rapproche des professionnels (Prior, 2012). L'Auto-Tune s'inscrit dans cette accessibilité à la production musicale en permettant de parfaire une performance vocale. D'ailleurs dans le rap et les musiques urbaines, l'Auto-Tune participe à la production foisonnante qui trouve en ligne un canal de diffusion, mais aussi de nouvelle chaîne de production. La rapidité et facilité de production offertes par le home-studio et les publications des contenus renversent significativement l’espace-temps de l’enregistrement, en permettant aux musiciens d’enregistrer là où ils le souhaitent au moment où ils le souhaitent et aux consommateurs de commenter, annoter, relayer celles-ci dans une sorte de circuit-court connecté.

Je reformulerai de cette manière :
Si la production musicale semble s'être démocratisée d'un point de vue technique et financier, la visibilité de ces contenus dans un univers médiatique saturé d'informations soulève un nouvel enjeu, tant pour les majors que pour les productions à leur marge, comme le soulèvent les travaux sur l'économie de l'attention. Mais toutes les productions ne bénéficient pas des mêmes budgets promotionnels, communautés de fans permettant leur visibilité et in fine leur écoute.

Le recours à l'Auto-Tune n'entre-t-il pas dans ces stratégies pour se rendre visible, en ayant un son agréable, juste, ou au contraire une voix robotique ?

Une autre économie, liée au numérique, une autre (inter)dépendance ?
Les différents travaux sur l'économie de l'attention insistent sur les pressions accrues sur les consommateurs, les nouvelles plateformes web jouant de ce nouveau paradigme pour établir leurx activités économiques non plus sur les contenus mais sur les pratiques de navigation web. D'un point de vue économique, l'abondance informationnel entraîne la raréfaction de ce que consomme l'informations. Ce que l'information consomme est donc assez évident : c'est l'attention de ces destinataires.(H. Simon, 1971). L'incapacité par exemple à choisir dans un catalogue aux dimensions illimitées redistribuent les cartes et les rôles des professions intermédiaires. Les productions sont à présent largement relayées par internet, sur des plateformes de streaming dont l'impact d'un tel mouvement n'est pas à négliger. En effet, non seulement les recommandations facilitées par ces plateformes guident les choix des consommateurs (+ de 41% issus de recommandations d'amis) plutôt que des recherches par genres. Mais en outre, elles valorisent l'image par les clips, l'identité de style et les rassemblements esthétiques au sens large (mode, vidéo, musique, ) . La rapidité et facilité de production offertes par le home-studio, et les publications des contenus renversent significativement l’espace-temps de l’enregistrement, en permettant aux musiciens d’enregistrer là où ils le souhaitent au moment où ils le souhaitent et aux consommateurs de commenter, annoter, relayer celles-ci dans une sorte de circuit-court connecté.

D’un point de vue logique, la question de la possibilité de s’approprier les technologies est première par rapport à celle de la nécessité (je ne comprends pas trop). Beaucoup de gens citent sur ce point, Jacques Ellul qui nie la possibilité d’une telle appropriation. La technique est présentée par lui comme d’accès direct, exclusive de toute médiation, en particulier symbolique ; il n’y aurait tout simplement pas de place pour la culture technique en général. Mais il semblerait que Jacques Ellul puisse se tromper. Un peu. La technique sans médiation n’est qu’un aspect de ce qu’il appelle lui-même le « bluff technologique ». Ce bluff industriel-économique est partie prenante d’une médiation de la technique, une sorte de culture technique industrielle-consumériste, autour du marketing, qui formate les usages et peut (et doit) être combattue par une culture technique critique. S’il est possible de s’approprier la technique, il est nécessaire de le faire parce que la technique tend à se greffer sur la totalité des relations humaines, et à être elle-même la relation de référence, structurante et centrale. Il faut donc délaisser la notion de technique – moyen (de l’ordinateur, des prothèses – outil) pour celle d’une technique – relation humaine.