MANIFESTE DES SCIENCES ET DES TECHNIQUES ENGAGÉES Été 2021 Résumé/Bulletpoints sur lesquels on pourrait s’accorder avant d’entrer dans les détails (j’ai l’impression que c’est basé sur les discussions qu’on a eues aujourd’hui et les versions précédentes, mais je préfère vérifier ;-) : Constat : Les sciences dites “modernes” et les techniques ne sont pas neutres, elles sont intrinsèquement politiques. En Occident puis dans le reste du monde, elles ont accompagné une vision instrumentale du monde pris comme une ressource inerte et illimitée, au service de certains, et aux dépens du reste des humains, des autres vivants et du système terre. Tentative des institutions politiques et économiques dominantes de récupérer les structures existantes, académiques et technologiques, au service de la poursuite de ce projet d'exploitation du monde, inégalitaire et destructeur. Ce d’autant plus que les fondements qui ont soutenu ces sciences dites “modernes” sont remis en cause : crises internes de confiance et attaque externe par des marchands de doute. Solutions : Si la solution n’est pas un retour à un âge d’or fantasmé de la “tour d’ivoire” sans contrainte (ni responsabilité), il faut une indépendance des scientifiques vis-à-vis des pouvoirs dominants, et une réflexivité interne et collective sur les pratiques scientifiques. Et sortir du modèle productiviste (évaluation quantitative du travail des chercheur.ses) et basé sur la sélection spencerienne des acteur-rices de la science toujours plus précarisé.e.s. Des ponts souhaitables avec d’autres mouvements sociaux, où les mêmes logiques néo-libérales (?) broient des humains. Condition nécessaire, l’autonomie des acteur-rices de la recherche n’est pas une condition suffisante pour mettre sciences et techniques au service du bien commun. Des sciences engagées requièrent un croisement des savoirs (profanes, traditionnels, expérientiels et académiques) et une ouverture vers d’autres pratiques (sciences participatives, inclusives…). Décloisonnement des disciplines hyper spécialisées, horizon Terre, conventions citoyennes, parlement des choses, soulevement des campus… You name it ! J’ai gardé 4 parties, mais en tranchant plus entre constat et solutions. J’ai l’impression de pouvoir copier/coller les paragraphes de la version actuelle dans ce nouveau plan qui reflète nos discussions d’aujourd’hui, en supprimant qqs répétitions et en mélangeant des bouts des chapitres 2, 3 & 4. J’essaie ? Version 3 (JMH, 21 juillet) CHAPITRE 1 : Des savoirs politiques Les sciences au cœur de notre monde « Depuis 80 ans, nos connaissances bâtissent de nouveaux mondes » se félicitait le CNRS pour fêter son anniversaire [1]. Et il est vrai que depuis quelques siècles les savoirs scientifiques occidentaux ont profondément modifié nos rapports sociaux et notre rapport au monde, à la fois dans la perception que nous en avons et dans les relations que les humains entretiennent entre eux et avec les non-humains. On peut citer la thèse classique du « désenchantement du monde » par le sociologue Max Weber (1917), caractéristique du monde moderne où le savoir rationnel remplace les croyances religieuses. La compréhension de l’évolution des espèces a bouleversé la place donnée à l’humain. Psychanalyse, sociologie, psychologie et neurosciences ont questionné la possibilité du libre-arbitre humain en mettant en évidence la multiplicité des déterminismes de nos comportements. Médecine et agrochimie ont permis l’explosion de la croissance démographique. La physique, souvent considérée comme la « reine des sciences » du fait de ses succès et dont les autres sciences ont cherché à imiter les méthodes, a réussi à appréhender l’intimité de la structure de la matière jusqu’à permettre la destruction de l’humanité par la bombe atomique. Les technologies rendues possibles par les mathématiques, l’informatique et l’ensemble des sciences dites naturelles ont créé une seconde nature artificielle qui est devenue pour beaucoup d’entre nous l’essentiel de notre environnement immédiat (l’ordinateur, le smartphone). Dans ce très bref aperçu censé rappeler l’emprise phénoménale des savoirs scientifiques occidentaux sur la structuration de notre monde, on n’oubliera pas le rôle des sciences économiques, dont l’adéquation douteuse de modèles simplistes à la prise de décision économique est plus que compensée par ses effets déterminants sur l’organisation actuelle des sociétés occidentales et non-occidentales. Si nos connaissances ont ainsi bâti « de nouveaux mondes », la question à se poser, particulièrement en tant que scientifiques participant à cette production de connaissances, est la suivante : doit-on vraiment en être fier ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette question ne renvoie pas seulement à des choix de valeurs ou préférences idéologiques, opposant (pour simplifier) d’un côté scientistes pour qui toute avancée technologique est bonne, de l’autre passéistes romantiques ou fanatiques religieux. En effet, nos nouveaux mondes sont en train de perturber notablement l’équilibre du « système terre ». Du fait des effets combinés du réchauffement climatique d’origine anthropique et de l’artificialisation généralisée des sols détruisant les écosystèmes et perturbant les grands cycles naturels, c’est l’habitabilité même de la fragile surface terrestre qui devient compromise pour un nombre croissant d’humains et de non-humains. La voie suivie par les sociétés occidentales, celle d’un développement économique effréné, sans limite, où seule prime la satisfaction de désirs de moins en moins justifiables [SJ : J’aimerais introduire le concept de common decency d’Orwell], bute aujourd’hui sur les limites physico-chimiques, biologiques et écologiques du « système terre ». Le saccage irréversible de notre milieu de vie s’est par ailleurs accompagné de l’explosion des inégalités sociales et humaines. Bien sûr, il ne s’agit pas de prendre au pied de la lettre le moto du CNRS : nos connaissances n’ont pas contribué toutes seules à la situation catastrophique actuelle, à l’avènement de cet anthropocène, ou plutôt à celui de ce capitalocène, thermocène, thanatocène ou plantationocène, pour évoquer quelques autres déterminismes majeurs [2]. Mais les sciences, on plutôt certains savoirs scientifiques occidentaux, en ont démultiplié la puissance, voire y ont été intimement liés. Les connaissances scientifiques sont fondamentalement politiques Les sciences occidentales ont pour nombre d’entre elles privilégié la vision d’une machine « naturelle » au détriment de celle d’un milieu, d’un espace de vie partagé. Cette vision est devenue quasi hégémonique, s’imposant aux autres histoires du monde et de la Terre malgré de nombreuses résistances. Les « modernes », pour Bruno Latour, se sont pensés avec Descartes comme « maîtres et possesseurs de la nature ». Les abattoirs de Chicago au XIXème ont mis en pratique ce paradigme [3]. Cette vision du monde, et la puissance de transformation de la matière et du vivant qui l’accompagne, est en effet au cœur du projet de société moderne, transformant le monde en un paysage ressemblant de plus en plus à un parking de supermarché (pour Aurélien Barrau), un monde d’objets et de ressources (souvent comprenant les femmes) dont nous pouvons disposer selon notre bon vouloir. Ou plutôt dont on nous incite à disposer [4], et dont seulement certains (et parfois certaines) peuvent entièrement disposer. Car certaines sciences et technologies ont bien constitué également les instruments d’un projet politique inégalitaire sacrifiant l'intérêt du plus grand nombre au profit de quelques privilégiés, voire en ont été l’un des principaux moteurs [SJ : Marcuse, Anders]. Dans leur extraordinaire diversité, les sciences occidentales n’ont pas toutes contribué à ce projet politique de domination de la « nature ». Par exemple, ce sont également des savoirs scientifiques qui démontrent depuis plusieurs décennies que nous dépassons les limites planétaires, ou que nous détruisons des écosystèmes complexes essentiels. Quand les courbes de GIEC montrent que pour préserver l’habitabilité sur Terre, les émissions mondiales de CO2, qui continuent encore de croître aujourd’hui, devraient chuter autour de zéro d’ici 2050 [5], le message implicite est politique car seule une transformation radicale et rapide du système de production mondial et des modes de vie peut permettre un tel objectif. Autre exemple, ce sont des sciences humaines sociales qui ont documenté l’extraordinaire prédation des ressources naturelles, y compris humaines, commencée à l’époque coloniale par les sociétés occidentales sur le reste du monde et qui continue aujourd’hui [6]. Que les savoirs scientifiques portent aussi une vision politique, c’est-à-dire une vision des relations des humains entre eux et avec les non-humains, n’est pas forcément un problème. Mais ce constat amène à interroger les choix politiques des sciences que nous pratiquons. Alors quelle vision du monde, nous, scientifiques, souhaitons porter et transmettre aujourd’hui ? Quelles connaissances, techniques et organisations souhaitons-nous construire aujourd’hui, avec qui, et pour quel monde ? CHAPITRE 2 : Quelles sciences devons-nous sauver ? Libérer les scientifiques de l’emprise néolibérale, managériale et autoritaire À mesure que des chercheuses et chercheurs, enseignant·es, ingénieur·es, techniciennes et techniciens et tous les gens de sciences réalisent la nécessité de repenser leurs métiers (ou devraient le réaliser à l’aune des ravages écologiques), l’espace de liberté se restreint toujours davantage. Si en France le statut de la fonction publique a rendu, dans une certaine mesure, les scientifiques souverains sur leur travail, le monde de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), en particulier, est victime depuis plus de 20 ans de profondes mutations qui visent à changer radicalement l’éthique et les pratiques de la communauté scientifique [référence]. Alors que les savoirs sont de plus en plus réduits à servir des projets politiques et industriels défaillants et injustes [JMH : référence ? Arguments ? Un peu gratuit et péremptoire, beaucoup de scientifiques ne se retrouveront pas du tout dans cette phrase], la liberté de chercher, d’enseigner et d’alerter connaît depuis quelques années les assauts répétés de gouvernements qui souhaitent mettre au pas les scientifiques ([…], LPR) [est-ce que ça vaut le coup de référer à la discipline chez Foucault ? JMH : pas forcément nécessaire ici]. Plutôt que d’étendre le travail libre à l’ensemble de la société, c’est la liberté des travailleuses et travailleurs de l’ESR qui est amputée [SJ : Super phrase : un thème à reprendre et développer. JMH : manque d’exemple précis ou référence]. Délier savoirs et capitalisme afin de relier savoirs et bien commun [JMH : « capitalisme » n’est-il pas réducteur / inexact / slogan ? L’utopie rationaliste du management néolibéral, compétition, quantophrénie du ranking, sont davantage pertinents pour décrire le fonctionnement de recherches et qui n’ont parfois aucun lien avec une quelconque accumulation de capital ou intérêt financier ; la croyance en la science, aux promesses technologiques, le scientisme, ne sont pas structurellement liés au capitalisme, il me semble.] Il devient alors nécessaire – et urgent – de libérer les Sciences (savoirs, institutions, pratiques et individus) de l’emprise d’un projet politique (néolibéral/capitaliste/technophile/prométhéen) suicidaire, autoritaire et injuste [SJ : dans le désordre ; JMH : pas compris]. Les savoirs, qu’ils soient profanes, traditionnels, expérientiels ou académiques sont un bien commun précieux, indispensable pour ouvrir de nouvelles perspectives pour construire un vivre ensemble. Garantir la souveraineté [SJ : autonomie ? JMH : souveraineté me parait ok] des scientifiques sur leur travail, favoriser leur émancipation de l’emprise des puissances étatiques et privées est nécessaire pour leur permettre de renouer des liens avec l’ensemble de notre société. Seulement ainsi pourrons-nous produire des savoirs [SJ : Low-tech, local, convivial, appropriable. Lewis Mumford] qui contribuent à construire un monde garantissant dignité, égalité et justice pour les humains et non-humains dans toute leur diversité et compatible avec les limites planétaires. [j’essaye de clarifier « bien commun » / « intérêt général ». Harribey [7] voit par exemple le bien commun comme construction sociale. Comment ne pas ignorer les rapports sociaux au sein du collectif ? [JS Tu pourras développer la différence ? Ca me semble important de clarifier à un moment dans le texte]]. Défendre l’autonomie des pratiques et de la gouvernance, mais aussi responsabilité et réflexivité La nécessité, et on espère la volonté des scientifiques à agir pour le bien commun, est indissociable de leur capacité à produire des savoirs fiables, robustes et durables, ce dont le corpus de méthodes, pratiques et dispositifs que la communauté scientifique occidentale a élaboré au fil des siècles est censé garantir. Mais, d’une part, cette capacité même est en crise : alors que jamais le monde n’a eu autant de moyens humains et financiers consacrés à la recherche scientifique, la majorité des résultats scientifiques publiés dans bien des disciplines ne sont pas reproductibles, et la complexité des socioécosytèmes que les sciences tentent désormais de comprendre semble dépasser les capacités des outils d’analyse classiques [8]. Pourtant, la majorité de la communauté scientifique tout comme les politiques se gardent bien de proclamer un tel aveu, promettant au contraire encore et toujours que « la Science », ainsi divinisée, résoudra tous les problèmes. D’autre part, la production de savoirs fiables ne suffit pas : on se doit d’interroger les savoirs dont nous avons besoin, interrogation qu’on ne peut laisser ni aux seuls scientifiques ni aux puissances politiques, économiques ou militaires. On se doit également de rendre ces savoirs opérants : les alertes répétées par des scientifiques depuis des décennies sur les ravages écologiques et le réchauffement climatique n’ont même pas infléchi l’accélération de ces phénomènes. Les scientifiques doivent sortir de leur tour d’ivoire, leur responsabilité de sachants les oblige à l’action. Il n’est donc pas possible pour les scientifiques de réclamer la défense de leur liberté et autonomie de chercher sans commencer par l’autocritique de leurs pratiques. Certaines pratiques sont certes remarquables et doivent être en effet défendues, qui reposent sur une gouvernance collective qui défend les valeurs éthiques essentielles à la production de ces savoirs (le CUDOS de Merton [expliquer ou référer]). Aujourd’hui, alors que cette gouvernance relativement collégiale est attaquée par les pouvoirs publics, il est devenu indispensable de construire et défendre démocratiquement une autonomie des pratiques et de la gouvernance de la communauté scientifique vis-à-vis de l’état et du secteur privé [JMH : répétition de la section précédente : « favoriser leur émancipation de l’emprise des puissances étatiques et privées »] afin de lui permettre de produire les savoirs dont nos sociétés démocratiques ont besoin. Mais nombre de scientifiques n’ont aucun besoin d’incitations financières ni de gouvernance autoritaire pour défendre une vision scientiste de la « domination de la nature », ni pour spontanément promettre des découvertes miraculeuses, ni pour s’accommoder de pratiques statistiques contestables [9] afin de pouvoir publier des articles. N’importe qui familier avec les mondes de la recherche a certes rencontré des personnes remarquables, mais aussi des individus aussi détestables que dans le reste de la société, ainsi qu’une compétition puérile d’egos boursouflés. Prétendre que tout le mal ne viendrait que du management néolibéral, par exemple, serait très naïf. Structurellement, en outre, l’hyper-spécialisation générée par des savoirs de plus en plus techniques a créé des œillères empêchant nombre de scientifiques de prendre le recul nécessaire sur leurs pratiques et objectifs. Un travail important de réflexivité et d’ouverture est devenu indispensable et urgent pour nombre de scientifiques. CHAPITRE 3 : Des scientifiques engagés Recréer des passerelles entre scientifiques et société Depuis trop longtemps la communauté scientifique s’est repliée sur elle-même, créant un îlot (de langages, de pratiques) de plus en plus éloigné des réalités écologiques et sociales du monde et finalement aveugle des conséquences du développement technologique et financier. Seuls les liens avec les puissances financières (publiques ou privées) ont été entretenus car ils étaient indispensables à la poursuite et au développement de l’activité scientifique. Cette relation exclusive avec les pouvoirs publics est un pacte faustien : le prix de l’autonomie (illusoire) est le contrôle via le financement de la nature même des savoirs produits [je comprends pas cette phrase et la suite du paragraphe ; JS : Tout à fait d'accord, trop hermétique. Je modifie]. Ce pacte est aujourd’hui rompu par la puissance publique qui cherche à mettre au pas la communauté scientifique. [par quoi? JS : Je précise]. Mais cette agression envers les libertés académiques est aussi l’opportunité de mettre à bas les barrières qui séparent les scientifiques de la société civile, de comprendre et assumer le fait que nous soyons, en même temps, scientifiques et citoyens. Favoriser les alliances avec le mouvement social Cette prise de conscience s’appuie sur un vécu commun : si les conditions de travail varient fortement d’un secteur à l’autre, les structures sociales qui nous conditionnent sont de même nature que l‘on soit scientifique ou non. Le monde professionnel s’inscrit toujours davantage dans des logiques de domination, d’aliénation, de contrôle social. Pour nous, ces rapports sont non seulement mauvais et injustes, mais ils s’opposent et pervertissent le fondement même de nos métiers. Dans cette organisation capitaliste [JMH : voir mon commentaire plus haut. La dénonciation du capitalisme est essentielle mais on ne peut résumer ce manifeste à un slogan anti-capitaliste] du travail exacerbée par le nouvel ordre managérial et néolibéral, l’activité scientifique perd de son sens, de sa valeur et devient de plus en plus artificielle, inutile. Le combat pour retrouver un travail vivant, décent, utile, est un combat qui nous concerne toutes et tous. [JMH : oui, mais redondant avec ce qui précède. Besoin de réorganisation] Croiser savoirs scientifiques et expérientiels au service de l’intérêt général Les scientifiques de métier ne sont pas et n’ont jamais été les seuls à produire des connaissances. En raison du contrat social qui liait savoirs et pouvoirs (scientifiques et politiques dominants), les savoirs traditionnels se sont vus progressivement exclure du champ social et politique. Au-delà de la dimension éthique/morale de cette guerre culturelle, ces savoirs portent en eux des forces indispensables pour surmonter les crises systémiques auxquelles nos sociétés vont être confrontées. Dans un monde où les enjeux politiques, sociaux et écologiques sont révélés, clarifiés, partagés, il n’y a pas lieu d’opposer ces savoirs, au contraire ; Il est temps aujourd’hui de faire dialoguer toutes les formes de connaissance afin que chacun puisse œuvrer au mieux pour construire un monde inclusif et juste. CHAPITRE 4 : Des sciences engagées Des sciences engagées ? Les sciences engagées ne se définissent pas uniquement dans un rapport au Vrai, elles se construisent surtout dans un rapport au monde vécu. L’horizon commun de l’Humanité, n’est pas celui d’une Vérité partagée [SJ : vision religieuse portée par la modernité], mais celui d’un vivre ensemble fait d’une diversité de rapports sociaux et de rapports au vivant [SJ : Face à la transcendance d’une Vérité, d’une Autorité opposer l’immanence d’une vie et d’un monde communs]. Si les sciences académiques veulent participer à la construction de cet horizon, elles doivent se réinscrire dans le monde politique, social, physique. Les savoirs produits par les sciences engagées sont ouvertement et pleinement associées à leur milieu (social, humain, vivant et physique) que cela soit dans leur production, dans leur évaluation et dans leurs usages. Quel rapport au monde les sciences engagées construisent-elles ? Cet engagement au monde porte nécessairement en lui un certain nombre de valeurs : ouverture et diversité, humilité et décence ordinaire, responsabilité, solidarité… Les sciences engagées défendent une vision du monde qui s’oppose aux rapports de domination, qui contribuent à fonder les rapports entre humains et aussi non-humains sur des valeurs de respect et de tolérance, qui substitue au faux dogme de la compétition, de la puissance, du combat, une vision d’un monde commun qui repose sur l’attention, la compréhension, le soin et l’entraide. Au service de quel projet politique vont les sciences engagées ? Il semble évident aujourd’hui que les sciences engagées doivent se désolidariser, s’émanciper et combattre les projets politiques qui depuis des dizaines d’années construisent aveuglément un avenir de catastrophes écologiques, sociales, morales pour nos sociétés. Le projet politique qui permettra de rouvrir un avenir à nos sociétés reste à construire. Il émergera d’une volonté démocratique qui permettra d’associer tous et chacun à la définition d’un monde commun, il portera comme une évidence des exigences de dignité, d’égalité et de justice sociale et environnementale et il s’engagera pour en protéger les fondements. Comment les sciences engagées se pensent-elle en démocratie ? Des dispositifs pour remettre les sciences en société et en démocratie existent tandis que d’autres restent encore à penser, à mettre en place. Cette évolution doit associer l’ensemble des acteurs du monde politique, de la communauté scientifique, de la société civile. Les savoirs sont des communs qui doivent se penser à la fois localement et globalement. Les dispositifs pour engager au mieux les sciences doivent se décliner en fonction des besoins et des réalités de chaque territoire. Mais ils peuvent reposer sur des principes d’autonomie et de co-construction de projets communs. [1] <https://80ans.cnrs.fr> [2] Bonneuil, C., Fressoz, J.-B., 2016. L’évènement anthropocène. Paris : Points, 336 p. ; Ferdinand, M., 2019. Une écologie décoloniale. Paris : Seuil, 464 p. Ces termes soulignent respectivement la responsabilité majeure du capitalisme, des énergies fossiles, des guerres, de l’exploitation coloniale et néocoloniale dont la plantation est le paradigme, plutôt que la responsabilité vague et apolitique de « l’humanité » (anthropos). [3] Damade, J., 2016. Abattoirs de Chicago. Paris : La Bibliothèque, 88 p. [4] Rosa, H., 2020. Rendre le monde indisponible. Paris : La découverte, 144 p. [5] IPCC, 2019. Special Report: Global Warming of 1.5 ºC. <https://www.ipcc.ch/sr15> [6] Ferdinand 2019, Op. Cit. ; Hickel, J., 2017. The Divide. London : Cornerstone, 368 p. [7] Harribey, J.-M., 2011. Le bien commun est une construction sociale. Apports et limites d’Elinor Ostrom. L’Economie politique n° 49, 98–112. https://doi.org/10/c9mtmx [8] Saltelli, A., & Funtowicz, S., 2017. What is science’s crisis really about? Futures, 91, 5-11. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0016328717301969 [9] Wasserstein, R. L., Lazar, N.A., 2016. The ASA's statement on p-values: context, process, and purpose. The American Statistician http://dx.doi.org/10.1080/00031305.2016.1154108 ------- [JMH : enlevé, à remettre quelque part ?] Quelle vision politique est portée aujourd’hui par l’institution scientifique ? Des sciences surfaites aux sciences non faites Le champ des savoirs scientifiques surdétermine nos choix de société : les déséquilibres entre sciences surfaites – celles de la promesse technologique : des OGMs, de la 5G, des ordinateurs quantiques ou de la conquête spatiale – et les sciences non-faites (ces champs de recherche non financés, incomplets ou ignorés, par exemple en santé environnementale ou en sciences humaines et sociales, mais que les organisations de la société civile identifient comme pertinents, Frickel et al. 2010) continuent à dessiner un futur sans avenir [SJ3 Expression piquée au comité Oblomov] . Frickel, S., Gibbon, S., Howard, J., Kempner, J., Ottinger, G., Hess, D.J., 2010. Undone Science: Charting Social Movement and Civil Society Challenges to Research Agenda Setting. Science, Technology, & Human Values 35, 444–473. https://doi.org/10/dp4z95 Version 2 : CHAPITRE 1 : Des savoirs politiques Les sciences au cœur de notre représentation du monde Nos rapports sociaux et notre rapport au monde sont déterminés par la perception que nous en avons. Depuis quelques siècles, les savoirs scientifiques occidentaux ont profondément modifié le regard que nous, « modernes », portons sur lui, privilégiant la vision d’une machine “naturelle” au détriment de celle d’un milieu, d’un espace de vie partagé. Les connaissances scientifiques sont fondamentalement politiques (les limites planétaires) Cette vision du monde, et la puissance de transformation de la matière et du vivant qui l’accompagne, est au cœur du projet de société moderne, transformant le monde en un paysage, un monde d’objets et de ressources dont nous pouvions disposer selon notre bon vouloir. Jusqu’à récemment, la modernité s’imposait aux autres histoires du monde et de la Terre, apportant son lot de « progrès » mais aussi d’inégalités et d’injustices, à la mesure de la démultiplication de sa puissance. Jusqu’à ce que l’hubris de certains nous fasse buter sur les limites physico-chimiques, biologiques et écologiques du “système terre”. Les sciences et technologies ont été les instruments d’un projet politique inégalitaire et sacrifiant l'intérêt du plus grand nombre au profit de quelques privilégiés Aujourd’hui, le constat est sans appel: la voie choisie par les sociétés occidentales, celles d’un développement économique effréné, sans limite, ou seule prime la satisfaction de désirs de moins en moins justifiables[SJ1] , a conduit à une explosion des inégalités sociales, humaines, et au saccage irréversible de notre milieu de vie (épuisement des ressources, pollutions et crises sanitaires et écologiques, sixième extinction des espèces, dérèglement des grands équilibres planétaires - climat, eau, vivant) Quelle vision politique est portée aujourd’hui par l’institution scientifique ? L’institution scientifique des sociétés modernes (ministères, administrations, personnels académiques, chercheurs et enseignants du public ou du privé) n’a pas seulement accompagné ce projet de société, elle en est un des principaux moteurs[SJ2] . Mais les scientifiques sont aussi celles et ceux qui aujourd’hui alertent sur les dangers et la faillite de nos modèles de société, par des approches critiques et rigoureuses. Alors quelle vision du monde, nous, scientifiques, souhaitons porter et transmettre aujourd’hui ? Des sciences surfaites aux sciences non faites Ce n’est pas juste un débat philosophique. Cette question irrigue chaque geste de notre quotidien. Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est la conséquence de savoirs et de techniques développées il y a plusieurs décennies. Le champ des savoirs scientifiques surdétermine nos choix de société : les déséquilibres entre sciences surfaites – celles de la promesse technologique : des OGMs, de la 5G, des ordinateurs quantiques ou de la conquête spatiale – et les sciences non-faites (ces champs de recherche non financés, incomplets ou ignorés, par exemple en santé environnementale ou en sciences humaines et sociales, mais que les organisations de la société civile identifient comme pertinents, Frickel et al. 2010) continuent à dessiner un futur sans avenir[SJ3] . Alors que faisons-nous ? Quelles connaissances, techniques et organisations souhaitons-nous construire aujourd’hui, avec qui, et pour quel monde ? [SJ1]J’aimerais introduire le concept de common decency d’Orwell [SJ2]Marcuse, Anders [SJ3]Expression piquée au comité Oblomov CHAPITRE 2 : Sauvons la science Libérer les scientifiques et chercheurs de l’emprise néolibérale, managériale et autoritaire Mais à mesure que les chercheur.euse.s, enseignant.e.s, ingénieur.e.s, technicien.ne.s et tous les gens de sciences réalisent la nécessité de re-penser leurs métiers, l’espace de liberté se restreint toujours d’avantage. Si le statut de la fonction publique a rendu, dans une certaine mesure, les scientifiques souverains sur leur travail, le monde de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), en particulier, est victime depuis plus de 20 ans de profondes mutations qui visent à changer radicalement l’éthique et les pratiques de la communauté scientifique [référence]. Alors que les savoirs sont de plus en plus réduits à servir des projets politiques et industriels défaillants et injustes, la liberté de chercher, d’enseigner et d’alerter connaît depuis quelques années les assauts répétés de gouvernements qui souhaitent mettre au pas les scientifiques ([…], LPR) [est-ce que ça vaut le coup de référer à la discipline chez Foucault ?]. Plutôt que d’étendre le travail libre à l’ensemble de la société, c’est la liberté des travailleur.euse.s de l’ESR qui est amputée. Délier savoirs et capitalisme afin de relier savoirs et bien commun Il devient alors nécessaire – et urgent – de libérer les Sciences (savoirs, institutions, pratiques et individus) de l’emprise d’un projet politique – néolibéral/capitaliste – suicidaire, autoritaire et injuste. Les savoirs, qu’ils soient profanes, traditionnels, expérientiels, académiques… sont un bien commun précieux, indispensable pour ouvrir de nouvelles perspectives pour construire un vivre ensemble. Garantir la souveraineté des scientifiques sur leur travail, favoriser leur émancipation de l’emprise des puissances étatiques et privées est nécessaire pour leur permettre de renouer des liens avec l’ensemble de notre société. Seulement ainsi pourrons-nous produire des savoirs[SJ1] qui contribuent à construire un monde garantissant dignité, égalité et justice pour les humains et non-humains dans toute leur diversité [j’essaye de clarifier « bien commun » / « intérêt général ». Harribey, 2011, voit par exemple le bien commun comme construction sociale. Comment ne pas ignorer les rapports sociaux au sein du collectif ?]. Défendre l’autonomie des pratiques et de la gouvernance La volonté des scientifiques à agir pour le bien commun est indissociable de leur capacité à produire des savoirs fiables, robustes et durables. La communauté scientifique a élaboré au fil des siècles un corpus de méthodes, pratiques et dispositifs qui rendent l’approche scientifique du cosmos irremplaçable. C’est cela qui garantit la valeur propre des savoirs produits, et non leur capacité à être instrumentalisés pour générer du profit ou dominer. Ces pratiques reposent sur une gouvernance collective qui défend les valeurs éthiques essentielles à la production de ces savoirs (le CUDOS de Merton [expliquer ou référer]). Aujourd’hui, alors que cette gouvernance relativement collégiale est attaquée par les pouvoirs publics, il est devenu indispensable de construire et défendre démocratiquement une autonomie des pratiques et de la gouvernance de la communauté scientifique vis-à-vis de l’état et du secteur privé afin de lui permettre de produire les savoirs dont nos sociétés démocratiques et leurs peuples auront besoin. [SJ1] CHAPITRE 3 : Des scientifiques engagés Recréer des passerelles entre scientifiques et société Depuis trop longtemps la communauté scientifique s’est repliée sur elle-même[SJ1] , créant un îlot (de langages, de pratiques) de plus en plus éloigné des réalités écologiques et sociales du monde et finalement aveugle des conséquences du développement technologique et financier. Seuls les liens avec les puissances financières (publiques ou privées) ont été entretenus car ils étaient indispensables à la poursuite et au développement de l’activité scientifique. Cette relation exclusive avec les pouvoirs publics est un pacte faustien: le prix de l’autonomie (illusoire) est le contrôle via le financement de la nature même des savoirs produits [je comprends pas cette phrase et la suite du paragraphe]. Ce pacte est aujourd’hui rompu par la puissance publique qui cherche à mettre au pas la communauté scientifique. [par quoi?]. Mais cette agression envers les libertés académiques est aussi l’opportunité de mettre à bas les barrières qui séparent les scientifiques de la société civile, de comprendre et assumer le fait que nous soyons, en même temps, scientifiques et citoyens. Favoriser les alliances avec le mouvement social Cette prise de conscience s’appuie sur un vécu commun : si les conditions de travail varient fortement d’un secteur à l’autre, les structures sociales qui nous conditionnent sont de même nature que l‘on soit scientifique ou non. Le monde professionnel s’inscrit toujours davantage dans des logiques de domination, d’aliénation, de contrôle social. Pour nous, ces rapports sont non seulement mauvais et injustes, mais ils s’opposent et pervertissent le fondement même de nos métiers. Dans cette organisation capitaliste du travail exacerbée par le nouvel ordre managérial et néolibéral, l’activité scientifique perd de son sens, de sa valeur et devient de plus en plus artificielle, inutile. Le combat pour retrouver un travail vivant, décent, utile, est un combat qui nous concerne tou.te.s. Croiser savoirs scientifiques et expérientiels au service de l’intérêt général Les scientifiques de métier ne sont pas et n’ont jamais été les seuls à produire des connaissances. En raison du contrat social qui liait savoirs et pouvoirs (scientifiques et politiques dominants), les savoirs traditionnels se sont vus progressivement exclure du champ social et politique. Au-delà de la dimension éthique/morale de cette guerre culturelle, ces savoirs portent en eux des forces indispensables pour surmonter les crises systémiques auxquelles nos sociétés vont être confrontées[SJ1] . Dans un monde où les enjeux politiques, sociaux et écologiques sont révélés, clarifiés, partagés, il n’y a pas lieu d’opposer ces savoirs[SJ2] , au contraire ; Il est temps aujourd’hui de faire dialoguer toutes les formes de connaissance afin que chacun puisse œuvrer au mieux pour construire un monde inclusif et juste. [SJ1]Low-tech, local, convival, appropriable. Lewis Mumford [SJ2]Il n’y a plus de capture du politique par le scientifique [SJ1]Enclosure Polanyi CHAPITRE 4 : Des sciences engagées Des sciences engagées ? Les sciences engagées ne se définissent pas uniquement dans un rapport au Vrai, elles se construisent surtout dans un rapport au monde vécu. L’horizon commun de l’Humanité, n’est pas celui d’une Vérité partagée[SJ1] , mais celui d’un vivre ensemble fait d’une diversité de rapports sociaux et de rapports au vivant [SJ2] . Si les sciences académiques veulent participer à la construction de cet horizon, elles doivent se réinscrire dans le monde politique, social, physique. Les savoirs produits par les sciences engagées sont ouvertement et pleinement associées à leur milieu (social, humain, vivant et physique) que cela soit dans leur production, dans leur évaluation et dans leurs usages. Quel rapport au monde les sciences engagées construisent-ils ? Cet engagement au monde porte nécessairement en lui un certain nombre de valeurs : ouverture et diversité, humilité et décence ordinaire, responsabilité, solidarité… Les sciences engagées défendent une vision du monde qui s’oppose aux rapports de domination, qui contribuent à fonder les rapports entre humains et aussi non-humains sur des valeurs de respect et de tolérance, qui substitue au faux dogme de la compétition, de la puissance, du combat, une vision d’un monde commun qui repose sur l’attention, la compréhension, le soin et l’entraide. Au service de quel projet politique vont les sciences engagées ? Il semble évident aujourd’hui que les sciences engagées doivent se désolidariser, s’émanciper et combattre les projets politiques qui depuis des dizaines d’années construisent aveuglément un avenir de catastrophes écologiques, sociales, morales pour nos sociétés. Le projet politique qui permettra de rouvrir un avenir à nos sociétés reste à construire. Il émergera d’une volonté démocratique qui permettra d’associer tous et chacun à la définition d’un monde commun, il portera comme une évidence des exigences de dignité, d’égalité et de justice sociale et environnementale et il s’engagera pour en protéger les fondements. Comment les sciences engagées se pensent-elle en démocratie ? Des dispositifs pour remettre les sciences en société et en démocratie existent tandis que d’autres restent encore à penser, à mettre en place. Cette évolution doit associer l’ensemble des acteurs du monde politique, de la communauté scientifique, de la société civile. Les savoirs sont des communs qui doivent se penser à la fois localement et globalement. Les dispositifs pour engager au mieux les sciences doivent se décliner en fonction des besoins et des réalités de chaque territoire. Mais ils peuvent reposer sur des principes d’autonomie et de co-construction de projets communs. [SJ1]Vision religieuse portée par la modernité [SJ2]Face à la transcendance d’une Vérité, d’une Autorité opposer l’immanence d’une vie et d’un monde communs. Frickel, S., Gibbon, S., Howard, J., Kempner, J., Ottinger, G., Hess, D.J., 2010. Undone Science: Charting Social Movement and Civil Society Challenges to Research Agenda Setting. Science, Technology, & Human Values 35, 444–473. https://doi.org/10/dp4z95 Harribey, J.-M., 2011. Le bien commun est une construction sociale. Apports et limites d’Elinor Ostrom. L’Economie politique n° 49, 98–112. https://doi.org/10/c9mtmx Version 1 : CHAPITRE 1 : Des savoirs politiques Les sciences au cœur de notre représentation du monde Notre rapport au monde est déterminé par la perception que nous en avons. Depuis quelques siècles, les savoirs scientifiques ont profondément modifié le regard que nous portons sur lui, privilégiant la vision d’une machine “naturelle” au détriment de celle d’un milieu, d’un espace de vie partagé. Les connaissances scientifiques sont fondamentalement politiques (les limites planétaires) Cette vision du monde est au cœur du projet de société moderne, transformant le monde en un paysage, un monde d’objets et de ressources dont nous pouvions disposer selon notre bon vouloir. Jusqu’à récemment, l’histoire humaine s’imposait aux autres histoires du monde, jusqu’à ce que l’hubris humaine rencontre les limites physiques, biologiques de ce monde Les sciences et technologies ont été les instruments d’un projet politique inégalitaire et suicidaire Aujourd’hui, le constat est sans appel: la voie choisie par les sociétés occidentales, celles d’un développement économique effréné, sans limite, ou seule primait la satisfaction de désirs de moins en moins justifiables[SJ1] , a conduit à une explosion des inégalités sociales, humaines, et au saccage irréversible de notre milieu de vie (épuisement des ressources, pollutions et crises sanitaires et écologiques, sixième extinction des espèces, dérèglement des grands équilibres planétaires - climat, eau, vivant) Quelle vision politique est portée aujourd’hui par l’institution scientifique ? L’institution scientifique n’a pas seulement accompagné ce projet de société, elle en est un des principaux moteurs[SJ2] . Mais les scientifiques sont aussi ceux qui aujourd’hui alertent sur les dangers et la faillite de nos modèles de société. Alors quelle vision du monde, nous, scientifiques, souhaitons porter et transmettre aujourd’hui ? Des sciences surfaites aux sciences non faites Ce n’est pas juste un débat philosophique. Cette question irrigue chaque geste de notre quotidien. Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est le résultat de savoirs et de techniques développées il y a plusieurs décennies. Le champ des savoirs scientifiques surdétermine nos choix de société : les déséquilibres entre sciences surfaites – celles de la promesse technologique : des OGMs, de la 5G, des ordinateurs quantiques ou de la conquête spatiale – et les sciences non-faites continuent à dessiner un futur sans avenir[SJ3] . Alors que faisons-nous ? Quelles connaissances souhaitons-nous construire aujourd’hui, avec qui, et pour quel monde ? [SJ1]J’aimerais introduire le concept de common decency d’Orwell [SJ2]Marcuse, Anders [SJ3]Expression piquée au comité Oblomov CHAPITRE 2 : Sauvons la science Libérer les scientifiques et chercheurs de l’emprise néolibérale et managériale Mais à mesure que les chercheurs, enseignants, ingénieurs, techniciens et tous les gens de sciences réalisent la nécessité de re-penser leurs métiers, l’espace de liberté se restreint toujours d’avantage. Le monde de l’ESR en particulier est victime depuis plus de 20 ans de profondes mutations qui visent à changer radicalement l’éthique et les pratiques de la communauté scientifique. Alors que les savoirs sont de plus en plus réduits à servir des projets politiques et industriels défaillants et injustes, la liberté de chercher, d’enseigner connait depuis quelques années les assauts répétés de gouvernements qui souhaitent mettre au pas les scientifiques Délier savoirs et capitalisme afin de relier savoirs et bien commun Il devient alors nécessaire – et urgent – de libérer les Sciences (savoirs, institutions, pratiques et individus) de l’emprise d’un projet politique – néolibéral/capitaliste – suicidaire, autoritaire et injuste. Les savoirs, profanes, traditionnels, expérientiels, académiques…. sont un bien commun précieux, indispensable pour ouvrir de nouvelles perspectives à notre avenir commun. L’émancipation des scientifiques de l’emprise des puissances publiques et privées est une opportunité pour renouer des liens avec l’ensemble de notre société et pour produire des savoirs[SJ1] en lien avec l’intérêt général Défendre l’autonomie des pratiques et de la gouvernance La volonté des scientifiques à agir pour le bien commun est indissociable de leur capacité à produire des savoirs fiables, robustes et durables. La communauté scientifique a élaboré au fil des siècles un corpus de méthodes, pratiques et dispositifs qui sont les seuls garants de la valeur propre des savoirs produits. Ces pratiques reposent sur une gouvernance collective qui défend les valeurs éthiques essentielles à la production de ces savoirs (le CUDOS de Merton). Aujourd’hui, alors que cette gouvernance collégiale est attaquée par les pouvoirs publics, il est devenu indispensable de défendre l’autonomie des pratiques et de la gouvernance de la communauté scientifique afin de lui permettre de produire les savoirs dont la société aura besoin. [SJ1] CHAPITRE 3 : Des scientifiques engagés Recréer des passerelles entre scientifiques et société Depuis trop longtemps la communauté scientifique s’est repliée sur elle-même[SJ1] , créant un îlot (de langages, de pratiques) de plus en plus éloigné des réalités matérielles du monde. Seuls ont été entretenus les liens avec les puissances financières (publiques ou privées) car nécessaires à la poursuite et au développement de l’activité scientifique. Cette relation exclusive avec les pouvoirs publics est un pacte faustien qui impliquait que le prix de l’autonomie était la nature même des savoirs. Ce pacte est aujourd’hui rompu et c’est le moment de mettre à bas les barrières qui séparent les scientifiques de la société, de comprendre et assumer le fait que nous soyons, en même temps, scientifiques et citoyens. Favoriser les alliances avec le mouvement social Cette prise de conscience s’appuie sur un vécu commun : les réalités sociales sont les mêmes que l‘on soit scientifique ou non. Le monde professionnel s’inscrit toujours d’avantage dans des logiques de domination, aliénation, contrôle social. Pour nous, ces rapports sont non seulement mauvais, injustes, mais ils s’opposent et pervertissent aux raisons mêmes de nos métiers. Dans ce nouvel ordre managérial et néolibéral, le travail effectué perd de sa valeur et devient de plus en plus artificiel, illusoire, inutile. Le combat pour retrouver un travail vivant, décent, utile, est le même pour tous Croiser savoirs scientifiques et expérientiels au service de l’intérêt général Les scientifiques de métier ne sont pas et n’ont jamais été les seuls à produire des connaissances. En raison du contrat social qui liait savoirs et pouvoirs(scientifiques et politiques), les savoirs traditionnels se sont vus progressivement exclure du champ social et politique. Au-delà de la dimension éthique/morale de cette guerre culturelle, ces savoirs portent en eux des forces indispensables pour surmonter les crises systémiques auxquelles nos sociétés vont être confrontées[SJ1] . Dans un monde où les enjeux politiques et sociaux sont clarifiés, partagés, il n’y a pas lieu d’opposer ces savoirs[SJ2] , au contraire ; Il est temps aujourd’hui de faire dialoguer toutes les formes de connaissance afin que chacun puisse œuvrer au mieux pour l’intérêt général [SJ1]Low-tech, local, convival, appropriable. Lewis Mumford [SJ2]Il n’y a plus de capture du politique par le scientifique [SJ1]Enclosure Polanyi CHAPITRE 4 : Des sciences engagées Que sont des sciences engagées ? Les sciences engagées ne se définissent pas uniquement dans un rapport au Vrai, elles se construisent surtout dans un rapport au monde vécu. L’horizon commun de l’Humanité, n’est pas celui d’une Vérité partagée[SJ1] , mais celui d’un vivre ensemble[SJ2] . Si les sciences académiques veulent participer à la construction de cet horizon, elles doivent se réinscrire dans le monde politique, social, physique. Les savoirs produits par les sciences engagées sont ouvertement et pleinement associées à leur milieu (social, humain, vivant et physique) que cela soit dans leur production, dans leur évaluation et dans leurs usages Quel rapport au monde les sciences engagées construisent-elles ? Cet engagement au monde porte nécessairement en lui un certain nombre de valeurs : ouverture et diversité, humilité et décence, responsabilité, solidarité… Les sciences engagées défendent une vision du monde qui exclut les rapports de domination, qui fonde les rapports entre humains et aussi non-humains sur des valeurs de respect et de tolérance, qui substitue au faux dogme de la compétition, de la puissance, du combat, une vision d’un monde commun qui repose sur l’attention, la compréhension, le soin et l’entraide. Au service de quel projet politique vont les sciences engagées ? Il semble évident aujourd’hui que les sciences engagées doivent se désolidariser, s’émanciper et combattre les projets politiques qui depuis des dizaines d’années construisent aveuglément un avenir de catastrophes écologiques, sociales, morales pour nos sociétés. Le projet politique qui permettra de rouvrir un avenir à nos sociétés reste à construire. Il émergera d’une volonté démocratique qui permettra d’associer tous et chacun à la définition d’un monde commun, et portera comme une évidence des exigences de de justice sociale et environnementale Comment les sciences engagées se pensent-elle en démocratie ? Les dispositifs pour remettre les sciences en société et en démocratie restent encore à penser, à mettre en place, et cette évolution doit associer l’ensemble des acteurs du monde politique, de la communauté scientifique, de la société civile. Les savoirs sont des communs qui doivent se penser localement et globalement. Les dispositifs pour engager au mieux les sciences doivent se décliner en fonction des besoins et des réalités de chaque territoire. Mais ils peuvent reposer sur des principes d’autonomie et de co-construction de projets communs. [SJ1]Vision religieuse portée par la modernité [SJ2]Face à la transcendance d’une Vérité, d’une Autorité opposer l’immanence d’une vie et d’un monde communs.